Angela Merkel a décroché un accord lors de sa récente visite à Tunis. Il devrait permettre au gouvernement allemand d'accélérer le processus de rapatriement des Tunisiens en situation irrégulière. Est-ce sans risque ? Réunies à Hammamet, 13 associations ont apposé leur signature avant-hier sur un document dont la teneur est de s'opposer à «l'accord tuniso-allemand» en vertu duquel des concitoyens séjournant actuellement en Allemagne — estimés à 1.500 — pourraient être expulsés vers la Tunisie. Bien sûr, seraient visés par cet accord les migrants illégaux, à l'exclusion des Tunisiens dont les papiers sont en règle. Il faut rappeler qu'en décembre dernier, c'est le Tunisien Anis Amri — un débouté du droit d'asile — qui avait mené à Berlin une opération terroriste ayant coûté la vie à 12 personnes. Ce drame a pris une ampleur très importante sur la scène allemande, donnant lieu à une exploitation politicienne de la part des mouvances de la droite nationaliste et xénophobe. Résultat : une pression exercée sur le gouvernement afin qu'il fasse le ménage, pour ainsi dire, en jouant sur l'amalgame populiste entre migrants illégaux et terroristes. Tel est le contexte. Les associations signataires dénoncent cet amalgame et appellent les associations allemandes et, plus largement, européennes, à se joindre à leur position de refus de l'accord. Or elles ont reçu un soutien inattendu du Bundesrat, le Conseil fédéral des régions. Ce dernier a rejeté vendredi dernier un projet de loi qui autorise l'expulsion des migrants maghrébins au motif que les conditions qui prévalent dans leurs pays d'origine ne représenteraient plus un danger pour leur intégrité. En d'autres termes, les pays du Maghreb n'ont pas été supprimés de la liste des pays par rapport auxquels le droit d'asile peut être demandé. C'est une intervention décisive par rapport à la démarche des 13 associations, puisqu'elle réaffirme en quelque sorte l'obligation pour les autorités allemandes de prendre en compte les demandes d'asile des ressortissants des pays maghrébins en général, et des Tunisiens en particulier. Mais il conviendrait quand même d'être prudent car, comme Angela Merkel n'a pas manqué de le souligner lors de sa visite, la Tunisie est devenue un «phare de l'espoir» ! Traduisons : la démocratie y règne et les droits de l'homme n'y sont pas un vain mot. Par conséquent, les raisons invoquées par le Bundesrat ne sont pas vraiment pertinentes. Pas pour la Tunisie en tout cas. A plus long terme, la mobilisation citoyenne garde donc tout son sens. Son propos, comme le souligne M. Alaa Talbi, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes), n'est pas de s'immiscer dans des questions qui touchent à la souveraineté de l'Etat allemand dans sa façon d'accorder ou de ne pas accorder le droit d'asile aux étrangers sur son sol, ni même de procéder à des expulsions : quoique, sur ce point précis, on rappelle que la libre circulation des personnes compte parmi les droits fondamentaux. Le propos est de protéger le citoyen tunisien contre toute procédure qui serait d'une part contraire à la loi et qui, d'autre part, porterait atteinte à la dignité et à l'intégrité des personnes. C'est le cas des expulsions collectives, rappelle M. Talbi, où les personnes sont accompagnées menottées à l'avion par la police allemande, et cueillies à leur arrivée par la police tunisienne... Le communiqué du texte signé parle de «dignité violée» en cas d'expulsion «massive, accélérée et forcée». Il ajoute que de telles mesures sont en contradiction avec le droit de recours des migrants. Mais la vigilance des associations en question n'est pas tournée uniquement vers les autorités allemandes. M. Talbi s'indigne contre le manque de transparence des autorités tunisiennes quant au contenu de cet accord, qu'il préfère appeler «protocole d'accord»... «On parle de transmission d'empreintes aux autorités allemandes pour l'identification des migrants. Mais on ne sait pas précisément ce que contient le document»... Autre argument : on serait en présence, selon lui, d'un cas d'ingérence dans les affaires tunisiennes. Dans quel sens ? Dans le sens où le gouvernement allemand, en contrepartie de son aide au développement, dicterait au gouvernement tunisien une procédure particulière de réadmission des migrants tunisiens. Cette «ingérence», c'est le gouvernement allemand qui en serait responsable, mais le gouvernement tunisien serait également fautif en l'acceptant. D'autant que, ajoute le responsable du Ftdes, «nous avons présenté des contre-propositions au ministère des Affaires étrangères dont il n'a pas été tenu compte au moment des négociations...» Il semble cependant difficile de trancher cette affaire tant que l'on ne peut pas se faire une idée plus précise du contenu de l'accord en question.