Trente et une scènes, cent-dix comédiens, la dernière création de Taoufik Jebali «30 ans déjà», présentée hier en exclusivité à l'ouverture de la programmation indoor du FIH en présence du ministre des Affaires culturelles, a porté au plus haut tout l'univers de l'aventure d'El Teatro et la désespérance de l'acteur. Assisté dans la mise scène par Naoufel Azara et Walid Ayadi, d'après un texte écrit par Taoufik Jebali avec la participation de Iyadh Chaouachi, Mohamed Saber Oueslati, les récits de la pièce vont s'enchaîner, les histoires s'entremêler et s'assembler comme un puzzle, à faire éclater la réalité, dépeindre la vie et mettre en relief le désarroi et le doute qui marquent la vie de l'acteur dans les ronces inextricables de la vie et de son croisement avec les chemins du théâtre. Dans cette nouvelle pièce, Taoufik Jebali renoue avec la méthode créatrice expérimentale d'El Téatro Studio avec une imagination débordante, un texte basé sur des improvisations et l'art de raconter comme un jeu sans fin. Avec des acteurs, en majorité amateurs mais tous formidablement engagés dans le processus, privilégiant la qualité du jeu, Jebali entend défendre et faire découvrir de nouveaux talents et faire surgir des univers, des vies. Dans cette nouvelle pièce, le metteur en scène, qui a profité du théâtre de plein air de Hammamet, en a envahi tous les espaces, grogne, s'agace, se moque de ce qui existe. Il rembobine un passé pas très lointain mais que le temps semble peaufiner, faisant dialoguer passé perdu et présent solitaire, dans une stupéfiante économie de mots et de gestes malgré le nombre important d'acteurs. Dans «30 ans déjà», Jebali nous livre une interprétation d'une justesse et d'une subtilité à couper le souffle et remue le couteau dans la plaie sur des sujets tels que le métier d'acteur, le doute sur l'avenir des jeunes, la constitution biaisée, le 14- Janvier, les harragas, l'immolation, la démocratie, l'amour de la Tunisie, les braquages, la guerre, les élections municipales, les journalistes, les non-voyants plus alertes que les voyants et...le président ! Dans une scénographie épurée, le metteur en scène a su faire parler, avec une grande finesse, les témoins et protagonistes encore de ce monde, ou depuis disparus. Et c'est d'autant plus émouvant que nous les avons presque tous reconnus, à un moment ou à un autre de leur long parcours théâtral, dans des scènes auparavant jouées mais totalement rénovées. C'était un jeu exigeant, déroutant, poétique mais aussi drôle, émouvant, palpitant où l'on assiste à un bilan morose dans un climat oppressant baigné d'un jeu de lumière captivant. Comment ne pas être ému, quand on voit les visages ravis de ce public à la fin de la pièce. Un immense bravo à Jebali et compagnie pour cette pièce à courir aller voir.