La production du genre, théâtre musical, étant rare pour ne pas dire carrément inexistante depuis un certain nombre d'années, a attiré un public de curieux. Tout le monde attendait un peu fébrilement que les lumières de la salle s'éteignent pour que s'allument celles de la scène. Mardi soir, la foule des grands jours était amassée devant l'espace du 4e Art, à Tunis. C'est la première de la comédie musicale «Cerise», produite avec le soutien du ministère des Affaires culturelles et la Caisse d'encouragement pour la créativité et la production artistique. A l'issue d'une mise en place totalement désorganisée qui a pris du temps, le spectacle démarre avec presque une heure de retard. Heureusement sa qualité nous a fait oublier ce début compliqué. Tout est vu en grand dans cette création de Monia Béjaoui et de Tahar Issa Ben Larbi pour le texte et la mise en scène. Il est quasiment impossible d'en nommer tous les participants ; 10 chanteurs et presque autant de comédiens et comédiennes, 12 musiciens, 8 paroliers et 9 compositeurs et non des moindres. La liste est encore longue. Nous n'allons nommer personne pour ne pas faire des malheureux. Les oubliés. C'est le grand retour de la cantatrice après des années d'éclipse. Un retour qu'elle a voulu digne d'elle. Monia Béjaoui est une valeur sûre de la chanson tunisienne qui peut se targuer d'avoir un répertoire et un public qui a répondu présent mardi soir. Il faut dire aussi que la production du genre, théâtre musical, étant rare pour ne pas dire carrément inexistante depuis un certain nombre d'années, a attiré un public de curieux. Tout le monde attendait un peu fébrilement que les lumières de la salle s'éteignent pour que s'allument celles de la scène. Cette rupture ne s'est pas opérée. La salle a été partie prenante de la représentation et est restée par intermittence allumée. Scènes répétitives «Cerise», «Mamlakt el hob» en arabe, une traduction non littérale, traite de l'amour à travers des études de cas et une typologie large. Entre des scènes de théâtre, comique ou tragique, des séquences vidéo, pas moins de 23 chansons et quelques tableaux chorégraphiques, la volonté a été de mettre en scène une société qui ne tolère l'amour que dans le cadre officiel, légal. Un père violent, un agent de policier quasi présent, des femmes médisantes, autant de profils que l'amour dans l'absolu dérange. L'œuvre s'est voulue également le porte-voix d'une dénonciation directe, frontale de la misogynie, l'hypocrisie sociale, l'esprit patriarcal, le racisme, de l'homophobie aussi. Toutefois, en voulant la glorifier, la femme n'a pas été pour autant idéalisée. En témoigne la scène du «hammam» un peu longue d'ailleurs. La meilleure ennemie de la femme serait la femme. La volonté d'impliquer le public était nette depuis le début. Les comédiens parsemés sur les allées ont regagné la scène mais n'ont pas manqué d'interpeler les spectateurs et même d'en attirer quelques-uns intimidés sur les planches. Des scènes loufoques qui ont entraîné de l'enthousiasme et des rires francs. Le thème de la sexualité a été abordé sous toutes les facettes. Il reste que le texte et des séquences prétextant le réalisme ont péché par trop de vulgarité. En voulant dénoncer une société castratrice, sectaire, il y avait du sur-jeu et des actes gratuits, parfois décousus. Il est également utile d'attirer l'attention sur la durée qui s'étale en longueur, plus de deux heures et demie. Alors que des scènes répétitives notamment vers la fin n'ont rien ajouté à la valeur de l'œuvre, à l'instar de celle du couple au mois de Ramadan ou celle, appelons-la, de la carotte. A contrario, les «daéchiens» réunis en bande, n'ayant rien d'autre en tête que les accouplements légitimés par une piété de façade, sont aussi grotesques que vrais. Très bien jouée également et comique la scène de la locatrice intellectuelle incommodée par le bruit de ses bruyants voisins artistes. Rythme soutenu La vedette qui n'a rien perdu de ses capacités vocales a puisé dans son répertoire «Hamss el mouj» et présenté des chansons inédites. Monia Béjaoui s'est également manifestée à travers des projections de quelques minutes pour parler, si on a bien compris, de son vécu en tant que grande sœur qui a pris en charge ses frères sœurs après le décès de la mère, en tant que maman durant sa grossesse. Il serait utile d'indiquer le manque de lien entre les actes joués sur scène avant et après et ces séquences vidéo qui paraissaient parachutées, greffées. Le propos sonnait vrai mais les paroles brèves paraissaient tronquées. Peut-être par trop de pudeur n'est-elle pas allée au bout de sa pensée et de sa confession filmée ? Les voix féminines qui ont secondé la chanteuse, notamment celle de Khawla Taoues qui bénéficie d'une grande présence, sont de toute beauté. La Congolaise Gasandji a également apporté une touche d'originalité et de grâce à l'ensemble. Les chanteurs n'ont pas été pas en reste. L'œuvre est forte par une profusion de personnages aussi exubérants les uns que les autres, par ses musiciens, ses comédiens, ses danseurs, ses costumes, par son texte également. Elle est forte par ses multiples ancrages ; africain, en faveur des minorités, des femmes et pour le respect des libertés. Elle est forte par le rythme soutenu du début jusqu'à la fin malgré quelques remplissages inutiles dont on peut se passer pour se focaliser sur l'essentiel. «Cerises» se veut une réconciliation avec le théâtre musical, lequel, en alternant plusieurs expressions artistiques, requiert beaucoup de moyens, des ressources humaines et avant tout du talent. Ils étaient au rendez-vous. A voir absolument !