«Mais c'est totalement injuste», s'écria un sexagénaire qui faisait la queue à cinq heures du matin, mardi, le jour de l'Aïd devant une boulangerie moderne, située dans la banlieue sud de Tunis. L'homme venait d'exprimer son indignation face à des clients qui le précédaient et qui achetaient chacun plusieurs baguettes. Des quantités inhabituelles, dix, quinze, vingt, et parfois même plus. «C'est la même chanson chaque Aïd, continua-t-il, des dizaines de clients font la queue pour rentrer bredouilles à cause de la cupidité de certains, cela frôle la spéculation !». Et la grogne de monter. «Je n'ai pas le droit de refuser des commandes ou de rationner», répondit le préposé à la vente. Et d'ajouter, «Vous n'avez qu'à vous entendre entre vous». Et un autre monsieur de répliquer qu'il fallait au moins informer sur le niveau du stock afin d'épargner aux clients une attente inutile. Il ne restait qu'une cinquantaine de baguettes de cette ultime fournée, dans cette boulangerie qui chôme tous les lundis et qui, seule, avait confectionné du pain dans la localité en question. Nous avons appris, entre-temps, que deux fournées ont déjà été écoulées depuis quatre heures du matin. Verdict inquiétant, il ne reste plus que cinquante baguettes pour près de trente personnes, dont une bonne partie sont d'un certain âge ?! La colère monta cette fois-ci contre les clients servis. Ces derniers continuaient à acheter de grandes quantités de pain, malgré la pénurie, et malgré la colère et l'indignation de ceux qui faisaient la queue. «La moitié de toutes ces quantités va finir, hélas, dans les poubelles !» lança, dépité, un homme qui respectait l'ordre établi. «C'est pour cela que la plupart des Tunisiens ont le ventre qui déborde», s'indigna un autre. «Il fallait acheter le pain la veille pour ne pas vivre cette situation embarrassante», grommela un troisième. Le stock disponible finit par fondre comme neige au soleil, sous la volonté acharnée de ceux qui achetaient de grandes quantités de pain sans sembler se soucier de la frustration de leurs semblables moins chanceux. Et au milieu du brouhaha, l'on pouvait entendre les moutons dans le voisinage bêler de concert, inconscients comme ils l'étaient qu'ils allaient tous être sacrifiés.