Le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes) a organisé, jeudi et vendredi derniers à Tunis, une conférence internationale sur l'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) et le libre-échange en Méditerranée. L'événement a été concocté en partenariat avec le Centre national de coopération au développement (Belgique), la Fondation Friedrich Ebert Stiftung (Allemagne) et Itpc Mena. Il s'agit d'une sonnette d'alarme, tirée par la société civile internationale et celle nationale dans le but d'avertir sur les éventuelles répercussions fâcheuses qui risquent de résulter d'un accord de libre-échange inéquitable entre les deux rives de la Méditerranée et dont les dégâts seraient au seul détriment des pays du Maghreb. M. Massaoud Romdhani, président du Ftdes, a souligné, lors de son discours inaugural, que la souveraineté de l'Etat, la sécurité alimentaire et la propriété intellectuelle sont des lignes rouges à ne pas franchir, y compris dans les concessions relatives aux accords de libre-échange. Le représentant de la Fondation Friedrich Ebert Stitfung a confirmé, quant à lui, le soutien inconditionné de la Fondation pour la Tunisie dans son parcours démocratique latent. Il a rappelé que la société civile allemande s'était mobilisée en masse pour s'opposer aux accords de libre-échange inéquitables. «Nous ne sommes pas contre la mondialisation, bien au contraire. Nous scandons les principes de l'inter-mondialisme», a-t-il indiqué. Prenant la parole à son tour, Mme Nathalie Janne, représentant le Centre national de coopération au développement, a indiqué que les plans de l'UE en matière d'accords de libre-échange sont de pures redondances. L'Aleca apporte, à son sens, des solutions surannées, mettant ainsi les pays du sud-méditerranéen dans l'obligation d'accepter des conditions oppressives. L'Aleca : entre concessions infligées et solutions salutaires Le Ftdes a anticipé sur les travaux de la séance plénière de la première journée de la conférence pour présenter les résultats de l'étude élaborée sur l'Aleca. D'après l'étude, cet accord s'articule autour de cinq axes majeurs. Il s'agit, d'abord, de libéraliser des secteurs entiers notamment le secteur agricole ou celui de l'énergie. Une telle décision impliquerait l'application de moult restrictions dont l'arrêt des droits de douane pour le secteur agricole. S'agissant de l'investissement, il serait procédé à l'ouverture des investissements en rayant ainsi certaines limites dont celles relatives au volume et aux conditions réglementant l'investissement. La propriété intellectuelle serait soumise, par ailleurs, à un mécanisme d'arbitrage international. L'Aleca suppose, en outre, l'obligation d'harmoniser les normes des pays du sud méditerranéen avec celles de l'UE alors que lesdits pays n'appartiennent même pas à l'UE. D'autres enjeux relatifs à l'environnement, à l'emploi, aux conditions de travail feraient aussi l'objet des directives de l'accord. La présente étude a permis, aussi, de ressortir les principales menaces de l'Aleca, à savoir la destruction des petites exploitations et du secteur céréalier, lesquels constituent, indéniablement, l'épine dorsale du secteur agricole et la garantie de la sécurité alimentaire en Tunisie. Le secteur des services serait, davantage, enchaîné par la difficulté et de l'accès au financement européen et de la mobilité. S'agissant des marchés publics, des craintes sont signifiées quant à la question de l'arbitrage propre à l'investissement et ce qui s'ensuit de menaces à la souveraineté de l'Etat. Cela dit, le Ftdes ne s'est pas contenté de dresser un tableau pessimiste. Il a avancé une série de suggestions qui sauraient transformer un accord déséquilibré en une ébauche de solutions salutaires aux problèmes économiques et développementaux cernés. Il conviendrait, pour l'UE, de soutenir la Tunisie dans sa stratégie de renforcement des ressources naturelles et hydriques, lesquelles constituent le principal obstacle entravant l'essor du secteur agricole. D'autant plus qu'il serait plus intelligent d'acclimater ce dernier aux conditions climatiques et géographiques et de veiller à la préservation infaillible de la sécurité alimentaire. Le Ftdes recommande, par ailleurs, de faciliter l'accès au financement du secteur des services et de garantir la mobilité et des services et des personnes dans le respect du principe de l'égalité entre les deux rives de la Méditerranée. La séance plénière a été axée sur «Les expériences du Tafta/Ceta, le commerce pour l'Europe et les mutations politiques au sein de l'UE» ; le Tafta étant un partenariat transatlantique de commerce et de libre-échange et le Ceta, un accord de liberté commerciale globale. UE : analyse d'une politique égocentrique Prenant la parole, Mme Lucile Falgeyrac, responsable de la coordination des mouvements européens au réseau Seattle to Brussels, a dévoilé à l'assistance les secrets de la politique européenne en matière de libre-échange. L'UE négocie quelque 31 accords. «Il s'agit d'une réelle compétition mondiale entre l'Europe et les blocs du capitalisme, dont la Chine, qui vise à préserver la place et consolider la performance des investissements européens», a-t-elle indiqué. Pour y parvenir, l'UE ambitionne d'intégrer le marché des pays partenaires dans tous les secteurs, avoir accès aux matières premières de la rive sud tout en prenant soin de minimiser les options politiques desdits pays via la garantie de droits spécifiques, voire de privilèges juridiques inébranlables. «Cette situation mettra les pays du sud en rude compétition sans pour autant leur offrir l'opportunité d'exceller à l'échelle mondiale. D'autant plus que, renchérit-elle, l'impact climatique sur cette politique est estimé de catastrophique. La situation serait pire dans une douzaine d'années». Aussi, la société civile s'était-elle fortement opposée au Tafta et au Ceta. «Le nombre des manifestants avait atteint les 250 mille rien qu'à Berlin», a-t-elle remarqué. De son côté, M. Nicolas Van Nuffel expert, et représentant le Centre national de coopération au développement, a indiqué que, depuis les années 90, les objectifs sont tournés vers la multiplication des accords bilatéraux et vers l'unification de deux types d'accords de libre-échange, soit le commerce et l'investissement. Ainsi, les pôles mondiaux se sont-ils investis pour réussir ce pari et unifier le Ttip et la Ceta. «Or, cette vision repose sur un mécanisme permettant de protéger les investisseurs contre l'Etat et non l'inverse, ce qui serait susceptible de nuire à la souveraineté des Etats du sud. Les privilèges juridiques constitueraient ainsi une justice parallèle à celle, internationale», a-t-il expliqué. D'un autre côté, la vision révolutionnaire des libéralisations nouvelles serait concrétisée sous forme de listes éliminatoires. Du coup, tout sera objet de libéralisation, sauf par exception ! «Il sera également question d'œuvrer pour une coopération de réglementation, et ce, afin de réviser les normes afin de les conformer à celles imposées par les accords de libre-échange», a-t-il ajouté. M. Van Nuffel n'hésite pas à prévenir les pays du Maghreb et les inciter à se mobiliser contre les règles oppressives de l'Aleca. «Certes, la Ceta a été signée et est entrée en vigueur. Mais le chapitre 8 sur l'investissement, lui, n'a pas été ratifié. Du coup, la commission européenne a perdu son plus grand défi, celui d'unifier le commerce et l'investissement et ce, grâce à la mobilisation de la société civile», a-t-il noté. M. Ahmed Ben Mustapha, ancien ambassadeur tunisien, a traité, lors de son intervention, des origines de la colonisation économique, lesquelles remontent, pour le cas de la Tunisie, au XVIe siècle. Une colonisation qui avait perduré, voire consolidée après l'Indépendance et qui continue, sous d'autres formes, certes, d'autres accords, d'autres enjeux politiques…