Le public a assisté à un spectacle lumineux, sensibilité à fleur de peau, exploration des zones de confiance, et construction d'un lien fort à travers la danse comme mode de socialisation. Un projet de l'association «L'art rue» et de «Kabinet k» avec la collaboration du théâtre national, chorégraphié par Joke Laureyns et Kwint Manshoven. «Khouyoul» est une réécriture du spectacle belge «Horses» des deux chorégraphes Joke Laureyns et Kwint Manshoven, invités par Salma et Sofiane Ouissi pour monter ce même projet avec des danseurs et des enfants tunisiens. Une expérience qui met au centre le rapport de confiance entre les adultes et les enfants, l'enseignement et la transmission, l'écoute et la réciprocité loin du rapport dominant-dominé ou maître et disciple. «Khouyoul» comme «Horses» s'inspire des relations qu'entretiennent les cavaliers avec leurs chevaux, une relation qui privilégie l'entente et la symbiose plutôt que la violence et la force. C'est de ce rapport-là que s'inspirent les deux chorégraphes qui opèrent un glissement sur la relation enfants-adultes, une relation caractérisée par l'exercice du pouvoir, la domination, la violence et même l'exploitation et la maltraitance. D'ailleurs, les deux chorégraphes ayant des antécédents dans respectivement la philosophie (Joke) et le graphisme (Kwint). Avec "Kabinet k", ils se concentrent sur des spectacles de danse mettant en scène aussi bien des danseurs professionnels que des enfants. Leur danse part des actes quotidiens concrets et des petits gestes tissés d'éléments ludiques. Le fait que le casting se compose également d'enfants fait que leur danse est accessible aux jeunes et aux moins jeunes. Chacune de leurs créations se développe littéralement à partir des pas de ces jeunes danseurs. C'est justement parce que l'organique et l'intuitif constituent un aspect tellement important dans leur langage de danse que les deux chorégraphes aiment travailler avec des enfants ou des corps plus âgés qui ne sont pas (ou moins) marqués par certains types de comportements ou une technique de danse. Les deux créateurs veulent traiter la danse de manière adulte et permettre à l'enfant de rester "enfant". En faisant fi de toute forme de paternalisme : un enfant est avant tout aussi un être intelligent et la danse est un art susceptible d'interpeller intuitivement les enfants et les jeunes. Revenons à «Khouyoul» ; de portés en lancers, six enfants et six adultes, dont 3 musiciens qui jouent en live sur scène, construisent et déconstruisent l'espace, explorent les liens qu'ils nouent les uns avec autres, se découvrent et s'apprivoisent dans la danse et combinent jeux d'enfants et jeux de mains. Les mouvements se font d'abord en duo ; de crispation, de contact physique, on s'approche parfois de la voltige et des acrobaties, les danseurs (adultes) attrapent les petits corps des enfants, ces derniers se cramponnent à eux, dessinent des figures, s'associent à leurs gestuelles et évoquent des jeux avec des bouts de tissus ou avec de l'eau avec laquelle on s'asperge et ou on fait des glissades. «Khouyoul» se compose en plus d'un acte, celui de l'apprivoisement, celui de l'approche, puis de l'installation de la confiance, la construction de l'espace commun, le ludique, l'apprentissage, la transmission et puis l'échange. Cette chorégraphie intergénérationnelle nous a transportés par sa légèreté, sa fragilité et la puissance et l'énergie qu'elle dégage. Les portées s'enchaînent, accompagnées de la musique live de Mahmoud Turki (luth), Imen Mourali (kanoun, percussions et guitare) et Alaeddine El Mekki (saxophone, clarinette), dans des figures souvent aériennes et parfois plus ancrées au sol. On joue des appuis pour construire des pyramides humaines où l'équilibre est de rigueur, on se lance et on se rattrape dans un abandon quasi intuitif. «Khouyoul» est une œuvre poétique forte qui cristallise symboliquement un rapport horizontal entre l'adulte et l'enfant. Un rapport qui ne nie pas l'autorité mais repose sur l'estime et la confiance : la confiance en soi et la confiance en l'autre magistralement interprétées par Aya Abid, Mohamed Ouissi, Nawress Azzabi, Rihem Nefzi, Yassine Najmaoui, Zakaria Ouissi, Fetah Khiari, Jihed Blagui et Sabrina Ben Hadj Ali. Et comme le définit si bien Joke Laureyns : la danse, non pas comme «un pas par-ci, un pas par-là», mais la danse qui, justement parce qu'elle évite le langage, peut parler du désir, de l'amour, de la mort, des angoisses primitives... De toutes les choses dont nous ne pouvons parler sans balbutier, certainement pas face à un enfant. C'est là que la danse peut faire la différence, tel un vocabulaire de l'inexprimable.