Mais quelle mouche a bien pu piquer Bertrand (Mathieu Amalric, lunaire), le jeune cinquantenaire, en dépression depuis deux ans, pour qu'il réponde à une annonce cherchant un nageur pour compléter une équipe de natation synchronisée ? Bertrand n'a ni le physique du rôle ni l'aptitude. Pas mieux pour Thierry (Philippe Katerine, hilarant), gros nounours à la petite bedaine qui aimerait tant se faire appeler Titi. Thierry n'a pas d'abdos mais il a la niaque : nager ensemble sous l'eau vaut sûrement mieux que les heures passées seul devant un ordinateur de contrôle en tant que veilleur de nuit dans une entreprise. Simon (Jean-Hugues Anglade, touchant), lui, n'en est pas à un défi — et une déception — près : ce musicien ne sera jamais David Bowie, comme le lui rappelle froidement sa fille, et vit sa liberté dans un camping car. Un Full Monty à la française Avec un casting de rêve : Philippe Katerine, Leïla Bekhti, Virginie Efira, Marina Foïs, Jean-Hugues Anglade, Benoît Poelvoorde, etc., «Le grand bain» offre une galerie de portraits étonnante et riche, et d'une très grande justesse. Comme «The full monty», l'excellent film britannique auquel il fait immédiatement penser, «Le grand bain» est aussi un film social. Lellouche crée une comédie tout en posant un regard sans fard sur des souffrances somme toute banales : difficultés financières, solitude, souffrance au travail, désordre familial. Tous ses personnages ont une faille, accrochez-vous. Que dire du chef d'entreprise surendetté qu'est Marcus (Benoît Poelvoorde, suranné) qui fonce dans le vide à la manière d'un personnage d'Aki Kaurismäki ? De Laurent (Guillaume Canet, troublant), jeune et brillant directeur d'usine, qui fuit sa responsabilité de père parce qu'il est déjà incapable d'assumer la maladie de sa mère ? Ou enfin de leur coach, Delphine (Virginie Efira, hyper-sensible), ancienne championne, abonnée des alcooliques anonymes ? Vous l'aurez compris, cette expérience sportive collective va finir par donner un sens à leur vie... Jeu exceptionnel Lellouche fait rire parce qu'il associe ces personnages écrits au scalpel (auxquels il faut ajouter les «seconds» rôles comme celui de la femme de Bertrand, Marina Foïs très crédible) à l'invraisemblable : la natation synchronisée. On imagine facilement un Benoît Poelvoorde ou un Philippe Katerine composer des figures chorégraphiques dans l'eau… Le film finirait par patiner s'il n'y avait pas un coup d'accélérateur au scénario : il est incarné par l'arrivée d'une nouvelle coach… en fauteuil à roulettes ! Amanda (Leila Bekhti, énergique) est décidée à mener la belle équipe à la baguette vers les championnats du monde qui se tiennent en Norvège. Saut de rythme, dynamique relancée. Le film décolle. Malgré quelques rares passages à vide, ce presque premier film de Gilles Lellouche (après «Narco» réalisé à quatre mains), présenté à Cannes hors compétition, fonctionne dans sa longueur (près de deux heures, ce qui n'est pas rien). La comédie repose bien moins sur la succession des gags (dont certains tombent à plat) que sur la solidité du scénario, un montage rythmé et une excellente interprétation — notamment chorale — des comédiens. Reste une question : mais pourquoi notre bande de messieurs est-elle allée chercher cette discipline-là, la natation synchronisée, habituellement réservée aux femmes, alors qu'aucun d'eux n'a de prédisposition ? Gilles Lellouche n'y répond pas. Et c'est sans doute là, dans ce non-sens assumé, l'une des forces de son histoire.