D'après Hédi Ben Mrad, ancien doyen de la faculté de Droit et Sciences politiques de Tunis, les meilleures constitutions du monde ne sont pas à l'abri des critiques et la démocratie tunisienne naissante est souffrante mais pas malade. Quelle constitution veut-on ? C'était la question clé posée en amont, à même de conduire les plénières d'avant adoption à surmonter les points litigieux ayant divisé l'ANC. Et maintenant, alors qu'on célèbre les cinq ans de la Constitution de 2014, avons-nous eu gain de cause ? Autant dire, en est-on satisfait ? Mise à l'épreuve de l'exercice politique, la nouvelle Constitution n'est pas évidemment une grande révolution. Pour beaucoup, elle n'a même pas changé la perception à l'égard de l'Etat de droit et des institutions. D'ailleurs, bon nombre de nos jeunes n'y croient plus, selon des sondages d'opinion. Certaines de ses dispositions sont restées lettre morte, surtout que des instances indépendantes et juridictionnelles à même d'assurer l'équilibre du régime politique n'ont pas vu le jour. Pourtant, il y a eu des délais précis préétablis pour leur mise en place. On en cite, à titre indicatif, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes, les instances des droits de l'Homme, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption et celle du développement durable et de la protection des droits des générations futures. Les autres, nées au forceps, sont aujourd'hui mal en point : l'Inpt (prévention de la torture) et l'Inai (accès à l'information) n'ont même pas les moyens de leurs actions. La classe politique, celle qui a écrit la Constitution, veut qu'elle soit taillée sur mesure pour servir ses convoitises et ses caprices. Elle n'a point intérêt à l'appliquer à la lettre. Les partis au pouvoir soufflent le chaud et le froid, guidés par des calculs de boutiquier. Et l'opposition, quant à elle, fait brandir les mots et les chiffres pour prendre sa revanche. Sens et contresens Cafouillage parlementaire et tiraillements partisans, au point que l'on voit certains lever la bannière d'une nécessaire réforme constitutionnelle. Ne serait-ce pas une manière d'annoncer l'échec de la « deuxième République » ? D'autres défendent l'idée de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Pour eux, il ne faut pas perdre de vue les acquis que la Constitution a déjà garantis : liberté d'expression, droit de manifester, pluralité politique et syndicale, égalité hommes-femmes, discrimination positive, pouvoir local et bien d'autres qui doivent être préservés. Au moment de son adoption à 200 voix pour sur 217, la Constitution fut rapidement qualifiée comme l'une des meilleures au monde. Dr Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l'ANC, avait déclaré qu'il a été question de lui donner la couleur et l'empreinte du peuple. « Certes, cette étape transitoire paraît difficile, mais à la société civile de faire preuve de conscience et de vigilance », lance-t-il. A sa demande, la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l'Europe, avait fait un certain nombre de suggestions sur la première mouture de la constitution de juin 2013. Fort apprécié par ladite commission, le projet final, adopté le 26 janvier 2014, avait alors suscité un large écho favorable. Invité, récemment, à Tunis, pour assister à la célébration du 5e anniversaire de la Constitution, son président, M. Gianni Buquicchio, était on ne peut plus clair et direct : « Mieux penser à sa mise en application qu'à son amendement ». Dans le même ordre d'idées, Mme Herta Däubler-Gemlin, ex-ministre allemande et professeur universitaire, a indiqué que les constitutions ont besoin du temps pour être mieux saisies. Dans un rapport introductif, l'ancien doyen de la faculté de Droit et Sciences politiques de Tunis, M. Hédi Ben Mrad, voit les choses mi-figue mi-raisin. Soit « un texte ni extraordinaire ni totalement ordinaire », résume-t-il. Cela veut dire, d'après lui, que même les meilleures constitutions du monde ne sont pas à l'abri des critiques. Et de révéler, avant de conclure, que notre démocratie naissante semble souffrante, mais pas malade.