La centrale syndicale historique n'a jamais cessé de revendiquer son droit de participer à la vie politique nationale et d'exposer ses vues sur les programmes gouvernementaux et les grandes orientations du pays. Mais cette volonté d'interférer dans les questions politiques s'est souvent exprimée de manière implicite, laissant aux politiques le loisir de faire leur besogne, quitte à les critiquer de la manière la plus frontale Avant l'indépendance et juste après, l'Ugtt et le parti destouriens travaillaient la main dans la main. Mais cette alliance allait se renforcer après la scission youssefiste et plus encore lors du congrès destourien de Sfax où les syndicalistes conduits par Habib Achour vont veiller à l'encadrement du congrès et à sa sécurisation. Depuis lors, les deux organisations allaient connaître un mouvement ondulatoire, avec des périodes fusionnelles et des crises explosives qui, le Destour étant un parti-Etat, avaient des répercussions majeures sur la marche de l'Etat. S'agissant des élections, l'Ugtt a fait partie du «Front national» rassemblé autour de Bourguiba lors des élections de la première Constituante, alors que Habib Achour n'a cessé de faire partie du Bureau politique du parti destourien jusqu'à la crise de fin 1977. Et après la crise, les syndicalistes ont de nouveau constitué un front électoral avec le parti destourien. Quelle nouvelle forme de participation ? Lorsque plusieurs dirigeants syndicalistes affirment qu'ils sont intéressés par les prochaines élections et précisent qu'ils n'auront pas leurs propres candidats, la question prend l'allure d'une énigme. Mais lorsque l'on a une idée sur l'historique de l'Ugtt, ses implications directes dans les élections législatives et ses alliances gouvernementales historiques, avec Ben Salah et la coopérativisation, on se met à prendre la chose au sérieux. Même si on ne voit pas du tout, à ce stade, quelle sera la forme de cette participation. Une chose est sûre, cependant, c'est qu'un disciple de Bourguiba, Béji Caïd Essebsi, parle d'un large front national et dit, ici et là, que l'on ne peut gouverner sans l'Ugtt. Appuyer une coalition «patriotique» Quoi qu'il en soit de ce projet de Front national que défend BCE, l'Ugtt pourrait aussi appuyer une coalition qui aurait pour programme de préserver les entreprises publiques, de défendre les richesses du pays, de mettre en œuvre une réforme fiscale draconienne et de mettre fin à la contrebande et au marché parallèle. C'est là le discours de la centrale au quotidien et il est populairement défendable, à la condition que l'on déniche les bons candidats capables de le défendre de manière crédible. On peut également imaginer que deux ou trois formations proches des syndicalistes ou du Front populaire se coalisent avec la bénédiction de l'Ugtt. Le parti de Briki pourrait théoriquement en être moyennant quelques mises au point. Des réserves de fond Le fait est qu'à l'encontre de la tentation du pouvoir, plusieurs cadres syndicaux estiment que la place de l'Ugtt est plutôt au sein du contre-pouvoir. Echaudés par les expériences historiques de participation, où le parti destourien les avait, affirment-ils, utilisés comme caution, ils tiennent à l'indépendance de leur prestigieuse centrale syndicale. Mais les jeunes loups issus des influences radicales: marxistes, baâthistes, nationalistes arabes et même islamistes ou islamisants qui rêvaient de révolution et qui l'ont vue se faire sans eux, croient dur comme fer qu'ils peuvent faire mieux que le pouvoir en place et que les députés actuels. Alors, exit les réserves de fond et vive la participation. Même si la vision reste floue.