Par Neila Gharbi Le documentaire a pris une place considérable après la Révolution du 14 janvier 2011, au niveau de la production s'entend. L'événement exceptionnel que vivait le pays méritait un tel intérêt. De nouveaux cinéastes ont émergé très vite mais, aussi vite, ils ont pris d'autres chemins. Les documentaires ont été réalisés pour immortaliser les moments historiques que vivait le pays. Réalisés à chaud, ces films ne se distinguaient pas particulièrement par un point de vue spécifique de leur auteur. La plupart était plus proche du reportage télévisé mais avait eu un écho retentissant auprès du public. Après cette brève effervescence, le phénomène s'est essoufflé. Le documentaire de création, qui avait été chassé avant cette période, a enfin repris ses droits et la consécration est venue avec «Zaineb n'aime pas la neige» de Kaouther Ben Hénia couronné du Tanit d'or aux JCC 2016. A ne pas oublier les grands ténors comme Hmida Ben Ammar et Hichem Ben Ammar (aucun lien de parenté) qui se sont imposés en véritables documentaristes. La relève a été, ensuite, assurée et accompagnée d'un festival «Doc à Tunis» dont l'ampleur n'a toujours pas sa pareille. A l'époque de la dictature, le festival a bravé les interdits en proposant sous cape des films audacieux et inventifs de différentes nationalités drainant un public assoiffé et nombreux. Mais après la Révolution, «Doc à Tunis» a vite perdu ses repères et surtout de sa notoriété. Documentaire anthropologique, historique, d'intervention, de création, animalier… les genres ne se comptent plus tant ils existent à profusion. Malgré la réussite technique et esthétique de certains documentaires cinématographiques, leur diffusion reste compliquée. Ils n'atteignent pas assez largement les spectateurs et ne bénéficient donc pas d'une bonne exposition dans le circuit des salles commerciales ou même culturelles ainsi qu'à la télévision. C'est un genre qui continue à être dévalué et sous-estimé. Pourtant, certains films nécessitent plusieurs années de réalisation à l'instar de «Zeineb n'aime pas la neige» (9 ans) ou plus récemment «El Majdhoubin» de Chiraz Bouzidi (4 ans) pour ne citer que ces deux-là. Souvent, le documentaire est produit par la seule volonté de son auteur. Le ministère de la Culture, seul bailleur de fonds des films tunisiens, n'accorde pas l'intérêt souhaité à ce genre, estimé comme un sous-genre, qui s'apparente davantage à la télévision qu'au cinéma. Le cinéaste Hichem Ben Ammar a dû galérer et fournir des preuves de compétence pour bénéficier d'une subvention étatique qu'il a obtenue à partir du troisième film. Il lui a fallu un appui solide et une reconnaissance de la part de la critique essentiellement et d'un certain nombre de spectateurs. Aujourd'hui, les jeunes peinent à trouver un quelconque don pour monter leur projet qui nécessite plusieurs années de tournage et de post-production. Faut-il souligner que le documentaire prend pour objet frontal les formes de vie réelles contrairement à la fiction qui s'intéresse aux formes de vie idéales, imaginées… C'est un espace esthétique qui traverse des vies réelles avec leur mode d'existence, leur rythme, leurs habitudes… Un terrain de la narration, selon le philosophe Gilles Deleuze, dont « les trois constituants essentiels sont l'alternance des champs de l'observateur (ce que voit la caméra) et de l'observé (ce que voit le personnage), le travail sur le temps (la recomposition du temps par voie de montage), l'introduction éventuelle de visions qui appartiennent à l'imaginaire des personnages ». Ceci pour dire que si ces composantes sont respectées, ce qui n'est pas toujours le cas, le documentaire présente des difficultés et des enjeux considérables à ne pas prendre à la légère. Il n'en demeure pas moins que le documentaire reste marginalisé même s'il est révélateur de vrais talents. Contrairement à la fiction où il est possible de faire du copier-coller, le documentaire ne permet pas une telle manœuvre du fait qu'il puise toute sa substance dans la réalité, mais il exige de l'intelligence, du talent et du savoir-faire pour éviter de provoquer ennui et lassitude chez le spectateur. Le résultat serait meilleur si des ateliers de formation et de réflexion autour de la production, de la diffusion et du marketing étaient mis en place pour prendre en charge les jeunes cinéastes.