Il n'y avait pas plus de poire que de fromage à table ce soir-là. Mais un délicieux concentré de culture, un subtil panaché de rhétorique, un piquant alliage d'avis opposés. Christiane Taubira, à peine descendue d'avion, même pas fatiguée par son long voyage, se prêtait avec grâce au feu nourri des questions que nous autres Tunisiens rêvions de lui poser. Chaleureuse de simplicité, incisive de précision, touchante de sincérité, elle racontait et se racontait. Bien sûr, nous avions commencé par le plus apparent, le plus public de ses aspects : ses livres, une douzaine publiée à ce jour. Celui qu'elle préférait, celui qu'elle regrettait, celui qu'elle aurait réécrit différemment? Elle n'est pas dans cette démarche. Elle écrit vite, dit-elle, toujours sous la pression, le besoin d'expliquer, de répondre, de convaincre. Une fois le livre achevé, elle passe à autre chose. Sauf pour un d'entre eux, finit-elle par reconnaître, celui qu'elle écrivit en 2012, où elle raconte ses combats politiques au long cours : «Mes météores». Celui qui, reconnaît-elle, lui ressemble le plus, où elle se livre peut-être… Mais elle se rassure : «il fait 600 pages, vous ne le lirez pas». Bien sûr, on en vient à la politique : ne plus en faire lui manque-t-il ? Non, car elle en fait toujours d'une certaine manière. Oui, car elle n'est plus au cœur de l'action. Avoir été garde des Sceaux, une expérience exceptionnelle? Aurait-elle accepté un autre ministère ? C'est la seule proposition qui lui a fait oublier sa ferme décision de ne plus faire de politique. Elle aurait décliné n'importe quel autre poste. «Parce que je suis persuadée que la justice est l'épine dorsale de la démocratie. Qu'il ne peut y avoir de vraie démocratie, de bonne politique et même de bonne économie s'il n'y a pas une bonne justice qui rassure et sécurise les citoyens». On en vient doucement, insidieusement selon nos habitudes journalistiques de curiosité quant à la vie des autres, à des questions plus personnelles. Quelles ont été ses plus grandes victoires ? Celles qui avaient quelquefois le moins de visibilité. Mais aussi celles qu'elle n'a pas remportées, et qui, par l'écho qu'elles ont soulevé, ont fini par aboutir. Et ses échecs les plus cruels ? Elle sourit, et fanfaronne : «Je n'échoue jamais». Le comble, c'est que cela est vrai, son parcours l'illustre. On s'enhardit à poser des questions qui frisent l'indiscrétion : où vit Christiane Taubira ? Elle reconnaît ne plus très bien le savoir, passant beaucoup de temps dans les avions. Mais essentiellement, sa maison est à Cayenne. Des enfants ? Un fils qui l'appelle malgré le décalage horaire avant qu'elle ne sorte de table. Une fille mariée à… un Tunisien. Son futur petit-fils qui s'annonce sera tunisien. On savait bien que nous avions quelque chose de commun.