Par Khaled TEBOURBI Regueb, hausse du taux bancaire, menace d'année blanche à l'université, et maintenant, les nouveaux-nés morts à la maternité de la Rabta : les Tunisiens vivent, décidément, au rythme de crises et de scandales successifs. Les chocs varient, de difficiles à insoutenables. Mais le pire est que le mal semble être le mal de tout un système, de tout un pays. Les «affaires» se suivent, ici, mais elles ne doivent, toutes, rien au hasard. Tout se lie. Tout est lié. Ibn Khaldoun partait du concept d'«Al Omrane» pour rappeler que l'Etat (Addawla) est un ensemble cohérent d'institutions et de services, ou il n'est point. On garde de lui son allusion aux Arts et à la musique. Lorsqu'ils régressent, expliquait-il, c'est toujours le signe que le reste n'est pas (plus) au mieux. Mais la démonstration vaut d'où que l'on parte. Une économie en panne, une santé publique inefficace, un peuple dans le besoin, des mœurs qui s'effilochent, ne coïncident pas, non plus, avec des périodes artistiques prospères. Ibn Khaldoun était un pur rationaliste, un observateur impitoyable des politiques et des sociétés. Un historien jamais détrompé, aussi. Ce qui nous arrive aujourd'hui, il l'avait théorisé, analysé, chose frappante, comme devancé, pronostiqué. Il nous arrive, précisément, ce contre quoi il mettait le plus en garde : nous vivons des crises, nous essuyons des scandales, mais nous manquons manifestement d'Etat. En plus précis, nous manquons à cette fondamentale cohérence «d'addawla» khaldounienne. Cette cohérence des institutions et des services qui fait qu'un lien d'intelligence et d'efficience relie les différentes interventions publiques. Un fil conducteur. Une politique d'ensemble. Une stratégie. Le sentiment, pour tout dire, est que nos projections, nos décisions comme nos solutions procèdent séparément. Par à-coups. Le risque est de ne saisir ni les causes ni les effets. On le sait du sort «imparti» à la culture et à l'éducation. Coupées, quasiment, de la réflexion sur l'économie, sur les médias. L'économie sans la culture est un obstacle au développement. Et une culture qui n'a pas de «prise» sur les médias est irrémédiablement faussée. On le pressent, aussi, après ce malheureux drame de la maternité de la Rabta. Tout le monde en a parlé comme d'un «dérive de santé publique».La ministre par intérim a surtout démenti les rumeurs de «médicaments nocifs» et insisté sur la thèse «d'infection nosocomiale». Il fallait peut-être remonter à loin. Chercher du côté de la gouvernance dans sa totalité. Sonder les choses à la manière d'Ibn Khaldoun. Voir, avant d'en arriver à «l'infection nosocomiale», à l'enquête sur les médicaments, si de meilleures compétences politiques, un meilleur sens de l'Etat, de la patrie, de la citoyenneté, une meilleure économie, une meilleure culture, auraient pu aider à sauver nos bébés. K.T.