Droit d'accès à l'information, dites-vous ! La loi le régissant, bien qu'adoptée il y a trois ans, pose toujours problème. Jusque-là, le journaliste, premier concerné, n'y trouve pas encore son compte. Pourtant, la question n'a pas manqué de susciter, à chaque fois, un débat pour renvoyer la balle dans le camp politique. Les professionnels du métier, le Snjt et les organisations de la société civile d'aller jusqu'à faire assumer l'entière responsabilité à l'Etat, représenté par son administration. Car, celle-ci n'a pas encore saisi que les choses ont changé et que tout ce qu'on croyait être «tabou» ou classé «secret défense» est révolu. Vu et discuté sous cet angle, le sujet a fait l'objet d'une conférence nationale, tenue, hier et avant-hier, à Djerba, avec pour thème «L'information journalistique face au droit à l'information, à la protection des données personnelles et à la lutte anti-corruption». L'initiative est d'une journaliste freelance qui avait beau enquêter sur un soupçon de corruption lié à la gestion budgétaire du festival culturel de Médenine. Les autorités locales concernées n'ont pas donné suite à sa demande. Son idée a été, alors, reprise par le ministère des Relations avec les instances constitutionnelles, la Société civile et les Droits de l'homme, qui a pris soin de l'enrichir et la hisser au rang de priorité. La journaliste investigatrice, Naïma Khelissa, intervenant en qualité de présidente de l'association d'éducation médiatique dans la région, a demandé à ce que l'information soit accessible à tous et que celui qui la détient n'en fasse pas une chasse gardée. Toutefois, entre ce droit à l'information et l'inviolabilité de la vie privée, il y a une fine ligne de démarcation. Le gouverneur de la région l'a qualifiée d'équation difficile qu'on finirait, à la longue, par résoudre. Une formation continue, pense-t-il, serait de nature à remettre les pendules à l'heure. Soit, donner au journaliste les moyens susceptibles de savoir faire la part des choses. Car, avoir l'information, c'est s'armer pour lutter contre la corruption, souligne Mme Hajer Hentati, consultante juridique auprès de l'Inlucc. Mais, jamais un tel combat n'est gagné si on ne le mène pas en toute liberté. Pour la profession, la liberté d'expression compte beaucoup. Dans son allocution d'ouverture, le ministre Mohamed Fadhel Mahfoudh, ministre des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile, estime que la liberté d'expression ne peut, en aucun cas, être soumise au chantage. En fait, c'est un droit inaliénable. Et pour cela, il s'est dit être aux côtés des médias. Evoquant, au passage, l'interdiction de diffuser l'émission «Les quatre vérités» sur «Al Hiwar Ettounsi», Mahfoudh, a réitéré son soutien au droit d'accès à l'information. Et le ministre d'enfoncer le clou, en revenant sur des points importants: «La révision du décret 115 et 116 promulgué en 2011 portant respectivement sur la liberté d'expression et la création de la Haica, dans le sens de l'ériger en loi organique organisant le secteur, un projet de loi régissant les associations, à même d'en finir avec les dispositions relatives à leur inscription au registre national des entreprises». C'est que ce droit à l'information ne contredit nullement la loi sur la protection des données personnelles, affirme M. Imed Hazgui, président de l'Instance nationale d'accès à l'information (Inai). Sauf que le journaliste, rétorque-t-il, se doit de respecter la déontologie de sa profession. Au-delà, c'est une culture à construire, dans la transparence requise. Ce qui donne raison à l'obligation de redevabilité. Ne touche pas à mon droit ! La loi 2016-22 relative au droit d'accès à l'information, trois ans après : Quel bilan ? « Sur 750 dossiers qui lui ont été remis, jusqu'ici, et dont 593 transmis à la justice, seulement quelque 372 affaires ont été tranchées », révèle-t-il. Sans pour autant oublier de mettre en exergue la réactivité positive de la Cour des comptes aux demandes qui lui sont parvenues. Etablissements publics, collectivités locales et autres devraient, eux aussi, en donner l'exemple. Sur ce plan, la volonté politique fait toujours défaut. A cela s'ajoutent d'autres défis d'ordre législatif et culturel. « Faute de quoi, rien ne peut changer d'un iota », lance, Mohamed Youssefi, membre du bureau exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt). Et d'ajouter qu'un tel acquis post-révolution demeure encore menacé, ce qui met la liberté d'expression en danger. «De toute façon, notre combat se poursuit pour relever ce défi…», a-t-il conclu. M. Chawki Gueddas, président de l'Instance de protection des données personnelles (Inpdp) était, on ne peut plus clair et précis : «Rien n'empêche le journaliste de se procurer l'information qu'il veut et quand il veut. Il a toute la latitude de dire ce qu'il veut dire». Un pouvoir discrétionnaire, en quelque sorte. « Et c'est ce qui fait la différence d'un journaliste à l'autre», estime le juge administratif, Issam Sghaïer. Pour lui, l'accès à l'info est le socle de l'investigation journalistique. Du reste, l'ex-président de la Cour de cassation, Khaled Ayari, qui a parlé au nom du comité constitutif du Conseil de la presse, projet en gestation depuis six ans, a fait valoir la création tant attendue de cette instance d'autorégulation. Il l'a qualifiée de tribunal d'honneur qui aura à jouer les bons offices pour régler tout conflit survenu entre médias et public. Juridiquement parlant, argue-t-il, le traitement médiatique des affaires dont la justice n'a pas encore tranché ne signifie, en aucun cas, une sorte d'ingérence qui peut influencer sur le cours de l'enquête judiciaire. Son témoignage ne peut qu'être une preuve d'appui au droit à l'information. Hier, journée de clôture, l'on peut, au moins, retenir deux recommandations essentielles : le journaliste ne doit plus céder à son droit à l'information, alors que l'administration est appelée à faire preuve de volonté pour satisfaire sa demande.