Par Abdel Aziz HALI L'alliance arabo-kurde a annoncé, hier, la « totale élimination » du califat de Daech. Il faut dire que la défaite du groupe jihadiste Etat islamique (EI) dans la bataille de Baghouz n'était qu'une question de temps vu le déséquilibre des forces sur le terrain et surtout dans les airs, notamment les moyens déployés par les Forces démocratiques syriennes soutenues par Washington à comparer avec ceux des combattants de l'hydre terroriste. Mais peut-on crier victoire et croire un instant à la disparition de l'organisation à l'étendard noir du paysage syrien? Pas si sûr ! Primo, tout le monde sait que depuis la chute de Mossoul et de Raqqa, les capitales respectives en Irak et en Syrie du soi-disant califat, Daech avait déjà déclenché sa mue à travers une nouvelle stratégie en optant pour la clandestinité. Ainsi, à l'image des Talibans en Afghanistan ou des Shebab en Somalie, l'EI va entamer une nouvelle ère en changeant de tactique en privilégiant des opérations ciblées plus proches du modèle des attentat-suicides à la voiture piégée ou par le biais de kamikazes ou en planifiant des attaques éclairs ciblant la police et les forces armées. D'ailleurs, ces derniers mois, les opérations kamikazes contre les combattants des forces arabo-kurdes et leurs alliés américains nous ont déjà donné un avant-goût de ce qui pourrait se passer après la bataille de Baghouz. Secundo, on a tendance à oublier qu'il a fallu aux combattants de la FDS 43 jours (depuis le début de l'offensive contre la dernière poche de l'EI dans la province de Deir Ezzor, le 9 février dernier-Ndlr) pour venir à bout des combattants aguerris de Daech. De ce fait, cet « assaut final » dans cette bourgade de l'Est syrien n'est qu'une bataille dans une guerre plus complexe. Cette victoire si importante qu'elle soit est loin d'être une capitulation qu'on ne peut comparer en aucun cas à celle des armées des pays l'Axe — à l'image de celle de l'armée impériale japonaise suite au bombardement de Hiroshima et de Nagazaki par la bombe nucléaire ou de la Wehrmacht (l'armée du IIIe Reich) après la bataille de Berlin — et sonnant de facto le fin de la Seconde Guerre mondiale. Après tout, les émirs et les têtes pensantes de l'EI, notamment Abou Baker Al Baghdadi, courent toujours dans la nature. Tertio, certes, cette organisation sanguinaire a perdu son territoire acquis en 2014 dans des régions conquises en Irak et en Syrie, mais le Califat est plus qu'un territoire, c'est une idéologie. Il suffit d'écouter les témoignages glaçants des femmes ayant quitté les zones de combats pour comprendre que la repentance et le mea culpa ne sont pas dans la culture des Daechien(ne)s. La disparition du « Califat physique » n'annihile pas le « corpus idéologique » de ce mouvement sombre et occulte qui prône le jihad international comme Al-Qaïda et ses dérivés. Il suffit de lire certains commentaires sur les réseaux sociaux de certains jeunes sympathisant avec les mouvements islamistes radicaux ou d'écouter quelques prêches du Vendredi dans le monde arabe et surtout dans les mosquées de quartiers en Europe pour réaliser que les idées sombres et les desseins de Daech sont en hibernation voire en gestation dans l'esprit de plusieurs jeunes de zones défavorisées ou marginalisées. Enfin, il ne faut sous-estimer l'éventualité de voir Daech suivre le pas de Jabhat al-Nosra (l'ex-branche levantine d'Al-Qaïda) en créant de nouvelles franchises jihadistes (Ex: Front Fatah al-Cham) ou en se ramifiant pour donner naissance à une nébuleuse d'organisations porteuses de son idéologie pour rebondir de nouveau dans une union jihadiste semblable à celle de Hayat Tahrir al-Cham (une fusion de six groupes rebelles islamistes syriens : le Front Fatah al-Cham, le Harakat Nour al-Din al-Zenki, le Front Ansar Dine, le Liwa al-Haq, Jaych al-Sunna et Jaych al-Ahrar - Ndlr). Que des arguments et des hypothèses pour s'armer de prudence tant qu'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué… Alors, sachons raison garder.