Par Bady BEN NACEUR Je relis un condensé des «Mémoires d'outre-tombe» de Chateaubriand*. L'auteur du «Génie du Christianisme» fut un témoin direct de la Révolution française qu'il a si bien décrite dans l'Essai sur les Révolutions (1793) qui devait le rendre célèbre dans les milieux émigrés, plutôt ! Ce grand homme, précurseur du Romantisme français, avait une double personnalité puisque sa carrière diplomatique lui permettait aussi de rêver et d'écrire en prose poétique toutes les aventures qu'il avait vécues à travers ses nombreux voyages (Les postes d'ambassadeur accrédité dans certains pays de l'Europe, et durant ses voyages jusqu'aux Amériques où il avait découvert la vraie Nature encore vierge, et les Indiens outragés par les Blancs sauvages). Il se définissait lui-même comme ayant gardé cette double personnalité en toutes circonstances et jusqu'à la fin de sa vie. Ecoutons-le : «En politique, la chaleur de mes opinions n'a jamais excédé la longueur de mon discours ou de ma brochure» (Le discours officiel). Et d'ajouter «dans l'existence intérieure et théorique, je suis l'homme de tous les songes ; dans l'existence extérieure et pratique, l'homme des réalités», (double caractère du poète et de l'homme d'Etat). En tant que ministre d'Etat, il va jusqu'à la démission de pair de France, en faisant abandon de ses douze mille francs de pension vers la fin de sa vie. Il dira : «Je reste nu comme un petit Saint Jean». Il ira jusqu'à vendre ses «broderies, dragonnes, franges torsades» qui lui rapporteront «sept cents francs, produit net de toutes ces grandeurs». Il vivra dans la détresse financière en Suisse (1831) qui accentuait les intimes misères de sa vie. Ecoutons-le parler d'argent : «Oh ! argent que j'ai tant méprisé et que je ne puis aimer quoique je fasse, je suis forcé d'avouer pourtant ton mérite: source de liberté, tu arranges mille choses dans notre existence, où tout est difficile sans toi. Excepté la gloire, que ne peux-tu pas procurer ? Avec toi on est beau, jeune, adoré, on a considération, honneurs, qualités, vertus. Vous me direz qu'avec l'argent on n'a que l'apparence de tout cela : qu'importe, si je crois vrai ce qui est faux ? Trompez-moi bien et je vous tiens quitte du reste : La vie est-elle autre chose qu'un mensonge ? Quand on n'a point d'argent, on est dans la dépendance de toutes choses et de tout le monde (…). J'aurais bien un moyen d'exister : je pourrais m'adresser aux monarques, comme j'ai tout perdu pour leur couronne, il serait assez juste qu'ils me nourrissent. Mais cette idée qui devrait leur venir ne leur vient pas, et à moi elle vient encore moins». Chateaubriand vivra de ses écrits dignement, jusqu'à la fin de sa vie. Morale de notre chronique du jour, cette détresse financière nous la vivons bel et bien en Tunisie. Où l'argent coule à flots pourtant! Mais d'où vient-il? Où va-t-il? Les uns devenus subitement riches, alors que nous les savions sans le sou, les autres qui le gagnaient à la sueur de leur front, devenus, aussi, subitement pauvres et même très pauvres, jusqu'à la corde, mais demeurant toujours humbles et pleins d'humilité, dignes, très dignes, mais jusqu'à quand? Nos têtes couronnées, les «génies de l'Islam», sont dans nos murs en conclave. Vont-ils sauver le pays de cette détresse sans nom qui sévit depuis cette pseudo-révolution? On se le demande... ———————— (*) 1768-1848