En projetant mercredi soir «Le Silence des Autres» d'Almudena Carracedo et Robert Bahar, Goya d'Or 2019 du meilleur documentaire, dans le cadre du 80e anniversaire de la fin de la guerre civile espagnole, les responsables de la Cinémathèque de Tunis ont réussi un joli exploit. La Cinémathèque a mis à la disposition du public tunisien mercredi dernier un film d'une très grande qualité esthétique et documentaire actuellement en cours d'exploitation commerciale dans les plus grands cinémas d'Europe. «Nous avons écrit aux deux réalisateurs espagnols en leur expliquant à quel point le contexte tunisien caractérisé par un processus de justice transitionnel s'accordait avec leur travail sur la mémoire. Ils ont répondu très vite positivement à notre requête en nous envoyant le lien pour télécharger leur œuvre…gratuitement », explique Hichem Ben Ammar, directeur de la Cinémathèque lors de la présentation du film devant une salle comble. 1977 : une loi d'amnistie est proclamée «La justice contre l'oubli» annonce sur l'affiche le titre subalterne du «Silence des Autres». Le film défend également toutes les possibilités du cinéma pour raviver une mémoire de la guerre civile espagnole confisquée en 1977 par «le pacte de l'oubli». Une amnistie de tous les prisonniers politiques qui efface du même coup les crimes des franquistes et de leurs tortionnaires des livres scolaires et de l'Histoire officielle du pays. Pis encore : des rues et des places à Madrid portent les noms de généraux, de ministres et de chefs de police accusés par leurs victimes encore en vie de crimes contre l'humanité. Un arc de victoire franquiste et les armoiries de ce régime dictatorial surplombent d'autres lieux. « Peut-on imaginer qu'en Allemagne des noms de nazis couvrent la toponymie d'une ville ? », déplore un homme ayant subi des exactions de la part des hommes de Franco. Le film raconte également le drame des descendants de milliers de disparus empêchés de vivre leur deuil sereinement tant que les dépouilles de leurs parents n'ont pas été retrouvées ainsi que de centaines de mères dont les bébés ont été enlevés à leur naissance par des médecins à la solde du régime. «Les victimes à raisons n'oublient pas», affirme Pablo de Greiff dans le film, rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. «L'oubli ne mène pas au pardon!» clament tous ces hommes et femmes en souffrance de ce déni officiel de leurs blessures toujours béantes. Parce qu'en Espagne la loi d'amnistie interdit aux juges d'enquêter sur la période de la dictature, en 2010, une plainte est déposée en Argentine contre le franquisme, considéré comme un crime de lèse humanité. Depuis, le procès avance bien, des condamnations ont été prononcées, des corps ont été exhumés des fosses communes et la cause de 235 plaignants mobilise de plus en plus de personnes et d'associations en Espagne. Les voix des victimes commencent enfin à être écoutées grâce notamment à l'intervention de la justice. Le rythme du film évolue avec la recherche de la vérité et la revendication de la justice. Lent au départ, il s'accélère à la fin au moment où les victimes arrivent à avoir gain de cause. Ponctué par les témoignages des rescapés du franquisme et de leurs enfants, «Le Silence des Autres» est émouvant jusqu'aux larmes. Le film prouve que le cinéma peut participer, par la force de ses images et sa dimension documentaire, au travail de mémoire. Dévoilant les omissions volontaires de l'Histoire officielle, il révèle les pesanteurs du non-dit généralisé. Grâce à la puissance du récit, et de tous les moyens d'expressions propres au septième art, le cinéma sait réécrire les pages d'une histoire dissidente savamment dissimulée par les pouvoirs en place. Le cinéma est maître contre l'oubli !