Après des semaines de supputations, de rumeurs, de fuites médiatiques, de négations, la vérité a fini par percer au grand jour, horrible, sanguinaire: le journaliste saoudien Jamal Khashoggi est bel et bien mort dans les locaux de l'ambassade de son pays an Turquie. Le royaume des Ben Salman l'a enfin avoué clairement. Mort oui, mais de quelle façon? La version politiquement correcte, officiellement annoncé, négociée dans l'ombre avec Ankara et Washington se veut tout en innocence et en légèreté. L'éditorialiste serait décédé suite à une altercation qui a eu lieu lors de son interrogatoire. Mais la vérité crue n'est-elle pas plus cruelle? L'homme n'aurait-il pas plutôt été torturé, décapité, démembré, réparti en plusieurs sacs et peut-être même livré aux chiens affamés pour qu'ils dévorent ses restes et emportent dans leurs intestins tout trace de cet odieux crime? Tout ça pour quoi? Parce que Khashoggi pensait être libre de ses idées et de ses pensées? Parce qu'il a osé écrire noir sur blanc ce que les autres disent en catimini ou pensent en cachette? Parce qu'il a osé exercer le métier de journaliste et publier ses écrits à l'international? Parce qu'il a osé croire en la liberté de la presse et d'expression ? D'ailleurs, dans sa dernière tribune intitulée «Le monde arabe face à son propre rideau de fer», parvenue au «Washington Post» le lendemain de sa disparition et qui a depuis été traduite, notamment en français, on peut lire ceci: «Ce dont le monde arabe a besoin, c'est la liberté d'expression». Il ajoute encore : «Les Arabes vivant dans ces pays sont soit sous-informés, soit mal informés. Les gouvernements arabes ont eu toute latitude pour continuer à réduire au silence les médias à un rythme croissant», mais aussi «Le monde arabe est confronté à sa propre version d'un rideau de fer, imposé non pas par des acteurs extérieurs mais par des forces nationales en lice pour le pouvoir». Comble de l'ironie, dans sa dernière tribune, Khashoggi évoquait aussi la Tunisie et se félicitait qu'il y ait au moins un état du monde arabe dans la catégorie «libre», selon le rapport intitulé «Liberté dans la monde», publié par Freedom House. Libres, oui les journalistes tunisiens sont quasiment libres avouons-le. Oui, mais... vivent-ils décemment, confortablement? Sont-ils assurés de pouvoir continuer à exercer leur métier d'ici quelques mois, quelques années? Les journalistes sont libres mais les établissements médiatiques le sont-ils vraiment? Prenons, pour exemple concret, la radio Shems Fm et ses journalistes et autres employés. Le mois d'octobre touche presque à sa fin et ils n'ont toujours pas reçu leurs salaires du mois écoulé. Ils ont beau lancer des SOS, des cris de détresse depuis des mois quant à l'avenir opaque de leur média. Les entend-on? Des promesses il y en a eu par dizaines, des rencontres au plus haut rang il y en a aussi eu des dizaines, des mouvements de protestation aussi. Mais au final, qu'en est-il? Cause toujours tu m'intéresses ! Voici la triste réalité des journalistes et leurs collègues de Shems Fm mais aussi de nombreux autres établissements médiatiques, à l'instar de Dar Assabah, qui ne savent ce que l'avenir leur réserve. Oui, les journalistes sont libres de s'exprimer en Tunisie mais jusqu'à quand tiendront-ils bon à cette noble profession ? La raison ne voudrait-elle pas qu'ils renoncent à cet idéal et qu'ils se reconvertissent professionnellement, laissant ainsi l'opportunité à ceux qui veulent saccager le pays de le faire en toute tranquillité sans qu'il n'y ait une caméra, un appareil photo ou une plume braqués sur eux ?