Principal port sur la Baltique et ancienne capitale impériale, Saint- Petersbourg est une ville sublime, le cœur culturel même de la Russie, abritant l'un des plus grands musées au monde, l'Ermitage. En hiver, les températures dégringolent d'une manière vertigineuse et nous obligent parfois, à nous surpasser pour affronter, braver, froid et tempête. Seulement, la frénésie de découvrir de nouvelles contrées et civilisations, nous pousse parfois à repousser nos propres limites, surtout quand il s'agit d'une ville chargée d'histoire et de beauté, au passé comme au présent, glorieux. C'est Saint- Petersbourg, ou Sankt- Peterburg, pour les Russes. Après plusieurs éditions à Taormina, puis Turin, Thessalonique, Wroclaw, Saint- Petersbourg, Craiova et Rome, le Prix Europe pour le Théâtre est retourné cette fois, dans la ville princière, ville de théâtre et de théâtres, qui vient d'abriter dans le cadre de «l'Année Européenne du Patrimoine », la 17ème édition du festival, ainsi que la 15ème session du Prix, Réalités Théâtrales, en présence de nombreux invités de l'Europe, et des quatre coins de la planète, particulièrement, le metteur en scène tunisien, Fadhel Jaibi, (l'un des lauréats de l'édition 2017 à Rome, aux côtés du Prix Nobel de littérature, le Nigérian Wole Soyinka), qui était accompagné de notre grande comédienne, Jelila Baccar. De même, ils étaient nombreux à animer des rencontres, colloques et séminaires à la « Dom Aktera », (Maison de l'acteur, sise à l'Av. Nevsky), et à gérer les différentes représentations théâtrales, dans les plus beaux Théâtres de la ville de Saint- Petersbourg : Alexandrinsky, Bolchoï, Baltik House, Molodezhny Theatre, et Maly Drama Theatre…Travail rigoureux et organisation des plus réussies sous l'œil vigilant des responsables du Baltic House Theatre Festival. Fokin et l'importance de l'art scénique russe La prestigieuse récompense a été remise pour la seconde fois dans la ville de Saint- Petersbourg, il est donc particulièrement symbolique que le lauréat de cette année, soit le célèbre metteur en scène et directeur du Théâtre Alexandrinsky, Valery Fokin . Une telle consécration met à nouveau l'accent sur l'importance de l'art scénique russe à l'échelle du Continent européen. Natif de Moscou, Valery Fokin compte à son actif, plus de 80 spectacles dont la plupart ont été des événements marquants dans son pays et pour le théâtre international, dont « Chweik, the come back » et « Masquerade, remembrance of the future ». Au cours de la rencontre qui lui a été consacrée, il a expliqué que son théâtre est une recherche continue, une sorte de dépassement des choses réalisées précédemment, sans que son approche ne néglige pour autant, les valeurs d'une tradition russe qui mérite la plus grande reconnaissance internationale. « La profession est semblable à l'alphabet, plus vous êtes capable de l'utiliser, plus il vous permet de vous exprimer », ce sont les mots de Valery Fokin qui résume sa conception du théâtre et encore plus, celle de la mise en scène. Pour lui, le théâtre ne peut pas se réduire à une activité de divertissement ou de promotion commerciale, mais doit servir d'expédient, afin de permettre à l'artiste d'acquérir un bagage intérieur, riche et bigarré. Protagonistes exemplaires Pour l'Italien, Alessandro Martinez, Secrétaire Général de l'Evénement, le Prix Europe a atteint sa trentième année, et cette nouvelle édition confirme le même engagement pour la promotion des principes européens de tolérance et de solidarité. Valery Fokin et Nuria Espert (Prix spécial), récompensés, sont selon lui, les protagonistes exemplaires de cette édition dédiée à ceux qui se sont battus à travers l'art et l'engagement social pour la construction d'un théâtre européen solidaire, ouvert à l'échange et au partage. Née en 1935, Nuria Espert, est quant à elle, le rare cas d'une artiste infatigable qui a débuté à douze ans, son métier de comédienne, sans négliger pour autant son engagement culturel et politique, pour devenir une icône du vingtième siècle et de la contemporanéité. Absente de la cérémonie de clôture du festival pour cause de maladie, c'est sa petite fille qui a reçu le Prix à sa place. « Puzzle » et la confrontation entre Orient et Occident Le Jury de la section Réalités Théâtrales a décerné le XVème Prix, au Belge d'origine marocaine, Sidi Larbi Cherkaoui, à la Compagnie suédoise Cirkus Cirkor, au Français Julien Gosselin, au Polonais Jan Klata, au Suisse Milo Rau, et au Portugais Tiago Rodrigues. Créateur d'un théâtre-danse sans frontières artistiques ni géographiques, Sidi Larbi Cherkaoui met en confrontation dans « Puzzle », l'Occident et l'Orient, le monde de la danse et celui de l'art contemporain … Le langage du corps, les mouvements, l'utilisation de l'espace et des objets, son approche conceptuelle vis à vis de la danse, font de ce très beau spectacle, un événement scénique pour sonder et mettre en lumière, les puzzles qui se dissimulent derrière les relations humaines. Une suggestion pour que nos responsables de l'Art chorégraphique en Tunisie, invitent cet artiste marocain et sa Compagnie dans nos murs pour quelques représentations…Vraiment à voir… Epoustouflant ! Lev Dodine, un maître de la scène russe Parmi les activités en parallèle, le 29ème Congrès de l'Association Internationale des Critiques de Théâtre, a organisé un colloque sur le thème : « Arts de la scène : liberté et (in)tolérance ». Et la conférence du Franco- roumain, Georges Banu, sur : « Le théâtre et l'esprit du temps ». Aussi, les rencontres avec d'éminentes personnalités comme Lev Dodine, un des maîtres du théâtre russe et mondial, lauréat de la 8ème édition du Prix Europe et fort influencé par le dramaturge anglais, Peter Brook selon lequel, « nous devrions tous continuer à nous montrer constamment curieux, même lorsque nous vieillissons…». Le programme ambitieux du festival a mis en exergue, les dernières réalisations du théâtre européen. La mise en œuvre d'un tel projet de grande envergure à l'approche de « l'Année du Théâtre », annoncée en Russie pour 2019, deviendra selon les organisateurs, une étape fondamentale sur le chemin du renforcement du dialogue interculturel. Andreï Moguchy, représentant du théâtre avant-gardiste A l'occasion de la Révolution d'octobre 1917, Andreï Moguchy, l'un des leaders du théâtre indépendant et avant-gardiste, a mis en scène une adaptation du « Gouverneur » de Leonid Andreïev qui évoque l'assassinat en 1905 du Gouverneur général de Moscou, Sergueï Alexandrovitch Romanov par Kalaïev, un membre du parti socialiste révolutionnaire. Il continue, nous explique t- on, à créer de manière prolifique et avec le même regard lucide sur la réalité, des spectacles d'une grande intelligence scénique, refermant musique et arts visuels, à l'image de ceux qui nous ont été présentés à cette occasion : « The Governor », et « The Storm ». Depuis 2013, l'année où il est devenu directeur du théâtre Bolchoï de Saint- Petersbourg, Andreï Moguchy a entièrement relancé le théâtre d'un point de vue esthétique ; ses œuvres inspirées du classique ont développé ses expérimentations dans le cadre du théâtre visue,l en révélant des compétences inattendues des acteurs. Un clin d'œil à Kirill Serebrennikov Que l'Europe du théâtre se retrouve pour la seconde fois à Saint- Petersbourg, est un signe évident, estiment les organisateurs. « Nous avons de plus en plus besoin, ajoutent-ils, de rencontres et de confrontations de partager des moments sachant réveiller nos consciences, nous ramener à la vie et nous faire sortir de la torpeur, où l'espoir et l'idée même d'un avenir, risquent de mourir avec l'asphyxie progressive d'une vie culturelle, de plus en plus fracturée dans de nombreuses régions du Continent. La cérémonie de remise des Prix, retransmise en direct par la Télévision russe, a été admirablement insérée dans l'installation scénographique du spectacle qui a suivi : « Mascarade, souvenir de l'avenir » signé, Valery Fokin, où des acteurs, tous masqués comme pendant une fête de carnaval, accueillent et accompagnent les lauréats sur des fauteuils rouges placés à l'avant-scène. Le Théâtre Alexsandrinsky, plein à craquer de spectateurs venus du monde entier, a abrité cette grande fête du 4ème Art, en présence du ministre russe de la Culture et des autorités respectives de la ville de Saint- Petersbourg, mais en l'absence de Milo Rau, l'un des lauréats de la XVème édition du Prix Europe Réalités Théâtrales, n'ayant pas pu avoir son visa à temps. L'autre illustre absent, Kirill Serebrennikov, lui aussi, ancien lauréat du Prix Réalités Théâtrales, cinéaste et metteur en scène russe, assigné à résidence à Moscou pour une affaire qui semble revêtir un caractère politique, ce qui lui a valu le soutien de critiques de théâtre et d'artistes à travers le monde. D'ailleurs, le Portugais Tiago Rodrigues, auteur de « Sopro » et « By heart », lui a dédié son prix. Un geste qui a été salué par toute l'assistance, dont Valery Fokin et Lev Dodin, qui a souligné la force intrinsèque du Prix Europe de pouvoir surmonter tout obstacle, au nom de l'Art et de la Culture. Le Prix Europe pour le Théâtre poursuit donc, son parcours international basé sur la rencontre entre pays et cultures, en considérant le théâtre, comme un lieu privilégié d'échange. Né en 1986 comme projet pilote de la Commission européenne dans le domaine théâtral avec la première édition en 1987, le Prix promeut l'interdisciplinarité n et la coopération entre les arts de la scène. Depuis 2002, il est reconnu en tant qu'Organisation d'intérêt culturel européen. Une ouverture sur la Méditerranée et le monde arabo- africain ? Une perspective pour l'avenir, nous déclare Alessandro Martinez, créateur du prix Europe pour le Théâtre. Car, il ya une forte chance pour qu'une pièce de Fadhel Jaibi, soit invitée à se produire dans l'une des éditions du festival, dont la prochaine aura lieu en 2020 à Bratislava en Slovaquie. La créativité n'a pas de limites ni de frontières, estime t-il, elle a plutôt besoin d'ouverture et de démocratie… Et Jaibi, est de ceux qui ont dit « Non » à la violence, à l'extrémisme, aux dérives autoritaires et au fanatisme.
