Tout cela est bien beau, mais en réalité, tout cet argent dépensé depuis huit années, sous couvert de révolution, et de transition démocratique à réaliser, il aurait servi à quoi concrètement ? La réalité du terrain, dans l'arrière-pays, surtout dans l'arrière-pays, permet, à n'en pas douter, de dresser tout au plus un constat affligeant, sur une situation qui ne peut, en aucune façon, prêter à équivoque. La misère perdure et elle est tenace. Et les plus mal lotis sont… toujours aussi mal lotis qu'ils l'étaient avant le fameux 14 janvier 2011. Que s'est-il passé alors, entretemps, alors que bien de l'eau a coulé sous les ponts ? La réponse est rien ; rien qui fasse plaisir dans ces régions, marginalisées hier, et tout aussi marginalisées aujourd'hui. Lorsqu'il y a des familles entières, qui n'ont toujours pas accès à l'eau potable, lorsque l'électricité leur fait défaut, lorsqu'ils manquent de tout et n'arrivent à rien, comment ovationner les gouvernements successifs, qui n'ont pas réussi à changer d'un iota, la vie de ces gens qui ont cru que la révolution allait enfin les sortir des marges, eux qui vivaient (et vivent toujours) en lisière de tout ce qui fait le fondement de la modernité, et qui ont, maintenant, de plus en plus la certitude d'avoir été floués, et, encore une fois laissés pour compte, sur le carreau, sans entrevoir la moindre embellie, le moindre espoir de s'en sortir, ou au moins, leurs enfants, pour qu'ils puissent reprendre confiance en les gouvernants d'un pays, dont ils commencent à douter sérieusement qu'il soit le leur. Quelle réponse leur apporter, quels garantis ? Ils sont usés jusqu'à la lie et ne croient plus en personne. On leur demande d'attendre encore deux ans, deux longues années, en leur faisant miroiter l'espoir d'un changement, qui serait autant miraculeux, que sans appel, et on les somme, en plus, de serrer la ceinture histoire de prouver qu'ils sont bons patriotes. Ou rien. Rien, ça les connaît justement. Ça leur rappelle quelque chose, ou quelqu'un. Vaguement, dans un écho qui leur parvient, assourdi et ténu, comme le fétu de paille auquel ils s'accrochent depuis trop longtemps pour qu'il ne se brise plus, d'un coup, sous leurs doigts fatigués. Populisme que tout cela ? Si la classe dite moyenne en Tunisie, même dans les grandes villes, n'arrive plus à y croire, comment demander cela à ceux qui n'ont déjà rien, et à qui on demande aujourd'hui de rogner sur ce même rien, d'y croire encore. Et de cultiver l'espoir que le lendemain sera meilleur, comme par enchantement ? Ce n'est tout simplement pas possible. Si le gouvernement est sourd, il faudrait qu'il se munisse d'un « sonotone » et qu'il fasse l'effort d'écouter enfin, les clameurs de la rue. Cela ressemble à de la colère, et elle est réelle. Il ne faut pas s'y méprendre…