Hier a été accompagné à sa dernière demeure, au cimetière de Radés, Mustapha Filali, un grand militant et syndicaliste de la première heure, qui fut parmi les plus jeunes ministres du premier gouvernement de la Tunisie indépendante. La dernière fois que je l'ai vu, c'était dans un petit café, rue d'Alger, où il s'était réfugié, pour éviter la fumée du gaz lacrymogène, lancé lors de l'une des manifestations à l'avenue Bourguiba. Avec un mouchoir blanc il s'essuyait ses yeux rouges et larmoyants, mais cela n'avait pas pour autant affecté son regard pétillant d'intelligence, ni son allure imposante. Il n'avait rien perdu de sa lucidité avec une présence d'esprit intacte et le zeste de facétie que l'âge avancé n'avait point estompé. L'accompagnant jusqu'à sa voiture garée dans les parages au coin d'une rue, on a eu une discussion, chemin faisant, sur la révolution qui pour lui était la conséquence logique d'un régime dictatorial qui a signé son arrêt de mort, et ce quels qu'en fussent les instigateurs. Les événements qui suivirent firent partie des aléas et des dérapages tous azimuts, dont les auteurs n'avaient d'autres buts que leurs propres intérêts. Filali en avait fait la mise en garde, lors de son passage à la haute Instance des objectifs de la Révolution. Il avait décliné d'ailleurs le poste de chef du gouvernement pour lequel il était pressenti en 2013. Il était un sage qui s'était consacré avec abnégation au service de la patrie, là où il était passé, que ce soit en tant que syndicaliste, député à l'Assemblée nationale, ou ministre du premier gouvernement tunisien à l'aube de l'indépendance. Avant de lui dire au revoir on a évoqué une citation de Napoléon qui disait: "La révolution doit apprendre à ne pas prévoir". Affirmation négative ou négation affirmative, cette citation prête à réfléchir sur les aléas de la révolution pressentis par Mustapha Filali, avec la formation de clans ennemis et les tensions multiples qui ont nui au pays et au citoyen qui reste le seul à payer les pots cassés. Mustapha Filali nous a quittés pour un monde meilleur, mais sa mémoire ne nous quittera jamais, et continuera à nous prodiguer les précieux conseils d'un homme qui s'était dévoué pour la patrie et qui et qui nous a quittés, comme il a vécu, discrètement, mais dignement. Paix à son âme.