Ce jour du 6 avril était doublement triste pour les Tunisiens. Triste, parce qu'il a signé le départ sans retour du bâtisseur de la Tunisie moderne et qui, selon tous les observateurs était venu très tôt pour la Tunisie, en pleine construction. Et triste, aussi, en raison des manœuvres accomplis par l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Il y a un peu après 10 heures, ce jour-là et la radio nationale interrompt ses programmes. Un présentateur dit d'une voix grave: « Allahou akbar, Allahou akbar, Allahu akbar » (Dieu est grand). Il lit ensuite un communiqué émanant de la présidence de la République : « Le leader Habib Bourguiba, ancien président de la République, est décédé ce matin à 9 h 50 à sa résidence de Monastir, à l'âge de 97 ans. Puisse Dieu accueillir le défunt, illustre enfant de la Tunisie, dans son infinie miséricorde et accorder au peuple tunisien tout le réconfort. Nous sommes à Dieu et c'est à Lui que nous retournons », comme l'a rapporté le magazine Jeune Afrique, dans un article écrit par notre collègue Ridha Kéfi. Le président Ben Ali décida, alors, un deuil national de sept jours et le transfert de la dépouille de l'illustre disparu à la maison du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), à Tunis, vendredi 7 avril, pour lui rendre un ultime hommage et se recueillir à sa mémoire, avant de le conduire, le samedi après-midi, à sa dernière demeure au mausolée de sa famille, dans sa ville natale. Le pari sur l'éducation et la santé Le leader Habib Bourguiba demeure, aujourd'hui, dans le cœur des véritables patriotes qui lui doivent reconnaissance, pour avoir bâti la Tunisie moderne. Même les jeunes générations lui rendent hommage, même s'ils n'ont pas vécu la période de sa gouvernance. Dans d'autres démocraties qui se respectent, l'image des disparus est redorée, même s'il avait commis les pires des erreurs. Mais, en Tunisie, avec le retour de l'esprit rétrograde, certains cherchent à estomper cette image d'un leader inoubliable et qui était respecté, même, par ses ennemis. Devenu président de la République et à contre-courant de ses voisins et homologues arabes, Bourguiba avait donné la priorité à l'éducation et à la santé au détriment de l'armement. Il met en place un enseignement moderne et nomme l'écrivain Mahmoud Messaâdine au poste de ministre de l'Education nationale. Celui-ci met fin au double cursus d'enseignement coranique et occidentalisé. L'école devient publique et gratuite. Bourguiba avait aboli également le double circuit de la justice, mis fin à l'influence des religieux sur la magistrature et instauré des cours civiles. Malgré toutes les magouilles de Zine El Abidine Ben Ali qui l'a évincé du pouvoir, dans « un coup d'Etat médical », Bourguiba demeure l'exemple et le modèle de succès, face un pari vraiment difficile, en ces temps-là où les pires des dictatures se sont installées, dans des pays nouvellement indépendants. Une cérémonie à la sauvette En fin d'après-midi, sa dépouille est enveloppée dans un linceul blanc, comme le veut la tradition, et portée à bout de bras par des membres de la Chabiba, organisation de jeunesse du Rassemblement constitutionnel démocratique, reconnaissables à leurs tuniques rouges ; elle est déposée au milieu de la cour de la maison familiale, recouverte du drapeau national et entourée de membres de la Chabiba. Son fils Habib Jr., sa belle-fille et sa fille adoptive Hajer reçoivent les condoléances des notables de la ville et du gouvernorat. Bourguiba est enterré le 8 avril, dans l'après-midi, dans son mausolée. Après une brève cérémonie à la mosquée Bourguiba, sa dépouille est transportée sur un affût de canon recouvert du drapeau national et tirée par un véhicule militaire encadré de détachements de l'armée tunisienne. Parmi les personnalités étrangères invitées figurent les présidents français Jacques Chirac, algérien Abdelaziz Bouteflika, palestinien Yasser Arafat et égyptien Mohammed Hosni Moubarak. Après la mise en terre, le président Ben Ali avait prononcé une oraison funèbre dans laquelle il salue le «combat loyal et dévoué» de Bourguiba pour la Tunisie. Les conditions des obsèques sont pourtant soumises à la critique de la presse internationale qui pointent la brièveté de la cérémonie, le peu d'invités étrangers et l'absence de retransmission à la télévision qui diffuse des cérémonies animalières pendant le convoi funéraire. Certains ont tout fait pour éliminer l'image du leader de la mémoire des Tunisiens… mais, elle est là persistante et bravant tous ceux qui veulent détruire ce qu'il a construit. Post émouvant de Hajer Bourguiba Dans un post émouvant sur Facebook, Hajer Bourguiba a écrit le post suivant : « Cette année, je ne pourrai pas me recueillir sur ta tombe. Pas de cérémonie officielle, ni l'hommage populaire et spontané comme les Tunisiens savent te le rendre et que tu aimes par-dessus tout. Mais rassure toi, personne ne t'a oublié, tu es toujours vivant dans nos cœurs et notre mémoire. Chacun de nous, sans se déplacer, sera dans le recueillement ce lundi 6 Avril 20 ans jour pour jour après ta disparition. Jeudi 6 Avril à 9h du matin, je tenais encore ta main quand tu es parti, je verse encore des larmes tant cet instant est resté gravé dans ma mémoire, car penser que je t'ai perdu signifiait pour moi être seule pour toujours. "Baba" comme je t'appelais un beau mot, que tu portais si bien il avait cessé de résonner, le mot Baba avait cessé d'exister. Ma bouche était devenue muette sans ce mot que je ne pourrai plus prononcer. Mon cœur saigne pour évacuer ses maux. Très vite je réalisai que je n'étais pas seule, la Tunisie entière s'était sentie orpheline. Je me sentais alors plus forte, et je devais être plus digne pour te faire honneur, toi le père de tous les Tunisiens. Parfois je me dis que tu ne m'as pas assez préparée pour affronter la laideur, les mensonges, la haine et les maléfices, j'ai mal d'entendre certains haineux et méchants même s'ils sont rares, tenter de souiller ta mémoire, je voudrais leur dire qu'ils se trompent, et que tu es formidable. Le vent de l'histoire s'en chargera et les balaiera. Baba, je n'ai jamais pu te dire que je t'admirais, tu as été un père extraordinaire, tu avais toujours le temps pour moi, pour mes devoirs, ou pour me faire rire! Malgré tes occupations. Tu me réclamais souvent pour t'accompagner, je ne me rendais même pas compte que tu n'étais pas un père comme les autres. Je saluais avec toi la foule venue t'acclamer sans me douter de cette singularité. Je suis fière aujourd'hui d'être ta fille. Allah yerhamek ya Baba El 3aziz. Tu as combattu l'ignorance et l'obscurantisme, l'injustice et les inégalités, et aujourd'hui Je suis fière de mon pays et de tous ces enfants.. ..Cette année, c'est toi qui rendra hommage à tous nos soldats du 1er rang le corps médical, les agents de la propreté, l'armée, la sûreté et tous les volontaires qui aident ceux qui en ont le plus besoin. Ils sont tous merveilleux et nous vaincrons toutes ces menaces, nous nous en sortirons. Je te rassure, nous ne laisserons pas le virus se propager et nous veillerons à ce que ce confinement ne se transforme pas pour certains en famine, en violences conjugales ou encore en décrochage scolaire et que les injustices ne se creusent pas davantage car il y' a confinement et confinement. Nous resterons solidaires. #yed-fel-yed (sans se toucher les mains) Je te rassure la Tunisie restera debout ».