Universitaire, ancienne ministre de la Culture, Sonia M'barek est spécialisée en droits de l'homme, droits d'auteurs, politiques publiques de la culture, et sociologie des relations internationales. Elle est chercheure invitée par le CMW auprès du Collegium de Lyon, (de septembre 2019, à juin 2020). Sonia M'barek nous apporte ici, depuis la France où elle vit actuellement, son témoignage sur le confinement général auquel sont assignées des centaines de millions de personnes de par le monde. Pour elle, rien ne sera plus comme avant le Covid 19. Un long périple nous attend après la crise du Covid 19. Car rien ne sera plus comme avant. Tout changera, notre façon de voir le monde, de percevoir l'autre, de bouger, de construire, d'apprendre, de créer et de nous connecter. Et cela à un triple niveau : international, national et individuel. La mondialisation remise en cause Au niveau international, il ne sera plus possible d'échapper aux problèmes des inégalités mondiales en tous genres, d'abord et avant tout, aux niveaux, socio-économique, sanitaire, culturel, politique, etc… Cette pandémie inédite précipite la chute de modèles économiques, socio- politiques, culturels, hérités de la fin de la guerre froide. Cette globalisation a déjà été remise en cause depuis la crise économique de 2008. Le monde fait face depuis cette date, à des défis structurels, et un multiculturalisme de plus en plus malmené, car fonctionnant sans partage de valeurs communes. Même si nous sommes encore à l'ère de la mondialisation, cette dernière est marquée de plus en plus, par une interdépendance sans solidarité, un monde certes interconnecté, mais des Etats, de plus en plus esseulés en dépit des politiques d'intégration régionale, et des structures transnationales. La crise sanitaire mondiale en donne un triste et emblématique exemple. Un désenchantement géopolitique post- crise sanitaire, sera particulièrement marqué par le retour en force de la multipolarité, et la puissance d'Etats phares tels que la Chine, le Japon, l'Indonésie, la Russie et l'Inde, face aux Etats unis. Il faudra désormais avoir la capacité d'innover et d'envisager des modèles de coopération internationale qui soient plus justes, basés sur la justice et l'égalité entre les peuples. Mettre la richesse de toutes les cultures et des civilisations, au profit d'un monde ou multiculturalisme, rime avec inter culturalité. Cet état de fait exige la réorganisation de la gouvernance mondiale en dépassant les visions et les pratiques préétablies. Placer l'humain au centre de tout La communauté internationale, représentée par les Etats souverains, les multinationales et organisations internationales, doivent en prendre conscience et agir en conséquence, notamment en prenant la mesure de mobilisations collectives pour exiger la centralité de l'humain et de ses droits, où qu'il soit, et quelles que soient, sa nationalité et sa religion. La question qui se pose, est la suivante. Est ce qu'il y aura dans l'esprit des gouvernants du monde, cette sagesse humaine essentielle pour contrecarrer les déconstructions et les nouvelles alliances qui s'organisent sur fond d'une crise sanitaire inédite, rien n'est moins sûr. Car, il s'agit d'une solidarité à réinventer, non pas sous le prisme d'une culture « Mac donaldisée » et totalisante, mais apprendre à vivre avec la diversité des cultures et des peuples. Par conséquent, il faudrait se débarrasser à tout jamais, d'une solidarité, qui dans les rares cas où elle existe, est pactée et instrumentalise l'Homme, et les pays les plus faibles, et sur ce point, on est loin du compte de part et d'autre. Quant au niveau national, oui pour une mobilisation générale, Elle est requise cela, ne fait pas l'ombre d'un doute. Cette pandémie met à mal un processus de démocratisation certes inédit dans le monde arabe, voire exemplaire, bien que semé d'embûches puisque miné par des difficultés multiples. Aujourd'hui, l'incertitude et l'angoisse de l'avenir proche se nourrissent de vrais problèmes que tout le monde ressent, de cette crise sanitaire qui prolifère, malgré la prise en charge rapide par l'Etat tunisien, du chômage et la précarité du travail en nette augmentation, de la baisse catastrophique du pouvoir d'achat, dans la classe moyenne anéantie, minée par l'effondrement de l'ascension sociale, et d'une pauvreté qui atteint de tristes records. Sans compter tous les autres problèmes causés par la faiblesse de l'Etat qui tente de se régénérer en période de transition multidimensionnelle, très complexe et multiforme. L'urgence de mesures exceptionnelles Nous sommes aujourd'hui dans l'urgence de mesures exceptionnelles dévoilées par les discours politiques, et dont particulièrement celles de trouver un équilibre entre la capacité d'action d'un Gouvernement face à la restriction des ressources, et la montée en puissance de nouveaux acteurs sociaux, comme la société civile et les médias, qui peuvent participer activement à cet effort de guerre. Il faut pour cela, leur faciliter la tâche. Se débarrasser des problèmes d'Ego qui enveniment la scène politique tunisienne est fondamental. Donner les moyens, structurels, financiers et surtout législatifs, à un gouvernement qui a l'obligation d'un minimum de résultats auquel il s'est engagé. Encore faudrait-il se débarrasser du formalisme bureaucratique qui gangrène nos administrations, pourtant parées de grandes compétences. Je pense que notre pays trouvera les moyens, la discipline et la rigueur qu'il faut pour s'en sortir, je reste optimiste. « Kalila et Dimna », un livre à redécouvrir Au niveau individuel, je vis mon confinement de la manière suivante : J'écris et je lis beaucoup, car le confinement est un moment de se retrouver en famille mais aussi, de questionner son avenir, et de voir le monde autrement, en réorganisant ses priorités et en agissant pour l'autre. Si beaucoup relisent l'excellent ouvrage « La Peste » de Camus, le confinement est pour moi, l'occasion de redécouvrir l'un des ouvrages les plus populaires de notre littérature arabe, « Kalila et Dimna ». Ce recueil de contes philosophiques rédigé en 300 av. J.C. par le grand Philosophe indien, Baydaba, et traduit à l'arabe par Ibn El Moukaffaa, et qui a largement inspiré des siècles plus tard, Jean de la Fontaine pour écrire ses fameuses fables, incite à une réflexion sur la démocratie et l'exercice juste du pouvoir. D'autre part, étant sélectionnée par l'institut des études internationales et avancées, le Collégium de Lyon, je travaille actuellement sur un projet consacré à la gouvernance culturelle, les nouveaux acteurs, les enjeux, les défis et les perspectives, au niveau national, du Maghreb, et dans une deuxième phase, au Moyen-Orient et en Afrique. Egalement sur la gouvernance, le gouvernement et la citoyenneté avec des collègues de l'Université de Lyon, et bien d'autres projets, dont un ouvrage sur « Les usages et la réception de la théorie du choc des civilisations » de Samuel Huntington. Témoignages recueillis par :