S'il y a un mal que les médias et les politiciens peinent à percer, c'est bien les modes d'action à même de populariser ou vulgariser des idées ou des notions plus ou moins pointues. Parfois, une maladresse de communication peut entrainer de graves malentendus dans les milieux bien disposés à gober tout ce qu'on leur sert, dans le simple but d'avoir le cœur net. Le sujet du coronavirus a offert, par son intensité et son étendue, un exemple des plus édifiants sur le rôle des médias et des politiciens qui y « passent », de la déformation « de bonne foi » de certaines notions faciles où on ne soupçonne, de prime à bord, rien de malin. Récemment, l'Allemagne a adopté le principe du test généralisé, pour ce qui est du virus Convid19. Le test, rappelons-le, n'est pas le dépistage. Le nouveau mode-test allemand est radicalement impersonnel. Il se base sur un test préliminaire en gros, l'identification ne se fait ultérieurement que sur les cas soupçonnés positifs. Ce principe consiste à prendre les tests par dizaines, pêle-mêle. Si le résultat de la dizaine testée s'avère négatif, on l'élimine purement et simplement du programme. Si un ou plusieurs cas positifs se présentent dans la même dizaine, et puisqu'il est confondu avec les cas négatifs qu'on ne peut pas identifier à ce stade, on refait les dix tests de la dizaine, afin d'en extraire les cas positifs, pour les identifier avec précision. Un mode d'action qui ne peut être qu'allemand, puisqu'il repose sur un gain de temps en période de crise et d'urgence, qu'aucun autre mode ne permet jusqu'à maintenant. C'est le pays d'Albert Einstein, et c'est tout. Pour engager une telle entreprise aussi prétentieuse, les Allemands en ont les moyens et la logistique nécessaires. Reste une question cruciale : Où vont les analyses des personnes avérées négatives ? Dans la corbeille des hubs du système informatique de la santé. A toutes fins utiles. Ils ne seront déterrés que par ordre explicite du ministre allemand de la Santé, sur concertation sérieuse avec le parlement et le chef du gouvernement de Berlin. Sinon, ces données ne seront accessibles que sur demande d'un chercheur ou d'un centre de recherche reconnu par l'Etat, selon le protocole d'accès aux données en vigueur en Allemagne. Et qu'en est-il chez nous ? Peut-on transposer cette expérience sur la Tunisie ? A supposer que le pays s'est fait doter des moyens d'action d'envergure allemande, et que techniquement, le test généralisé s'avère faisable en Tunisie, à quoi sommes-nous promis? Vraisemblablement à 12 millions de tests ! Dont 6000 cas de contamination par exemple. Le problème ne serait plus le mode de suivi des cas positifs, mais de ce que l'on doit faire avec les 11994 mille rapports sanitaires de première main du reste de la population testée négative. Si en Allemagne cette masse fera partie de la réserve scientifique du pays de Beethoven, chez nous, elle sera une réserve politique inespérée pour des politiciens en mal de programmes et de polémiques politiciennes, et de sophisme démagogique comme celui que l'on consomme en Tunisie depuis 2011. Avec son cortège de mystifications dont les réseaux sociaux raffolent en temps de confinement ou de spleen estival. S'agissant des résultats, raisonnons par la mentalité « sécurisée et sécuritaire » des Tunisiens. Le test généralisé nous permettra certes de préciser le nombre de personnes atteintes de Covid-19. Mais dans la foulée, on aura en filigrane d'autres courbes qui ne font pas nécessairement partie des vocations premières du test. Nous aurons ainsi, sans marge d'erreur, le nombre exact des buveurs d'alcool, des consommateurs de stupéfiants, des gens atteints de maladies chroniques graves, non déclarées, puisque non dépistées. Des personnes qui ne se savaient pas atteints de ces maladies. Sans parler des maladies sexuellement transmissibles ou simplement sexuelles. Une boucherie de données non plus personnelles, mais intimes. Où est-ce que l'on mettra toutes ces données ? A l'occasion de l'avènement du corona, nous venons d'assister à des anomalies vieilles-neuves que l'on se démenait à enfumer depuis la Révolution. Le ministère des Affaires Sociales « découvre » qu'il était en train de distribuer les 200 dinars allouées à la survie des familles nécessiteuses à des gens qui ne le méritent pas. Le comble nous vient comme par hasard de Gafsa, où un honnête avocat vient de recevoir un SMS l'enjoignant à faire la queue devant la poste, afin de récupérer le butin ! Si les listes de ces familles étaient établies à partir de déclarations volontaires de la part de la population-cible, notre ami l'avocat ne s'est jamais déplacé à cette fin. Dans quelles circonstances donc, son nom a glissé dans les listes sur la base desquelles le ministère des Affaires Sociales travaille ? Pour une Agence Nationale des données En deux mots, l'Etat moderne est devenu double. Un Etat réel, matériel (hardware), avec ses administrations, services et parc automobile pléthorique, et un Etat (software), celui de l'électronique, dont dépend justement le CNI. Ce même CNI qui présente des carences qu'il est grand temps de faire auditer techniquement. Le nombre d'incohérences qu'il présente de jour en jour, au fil de l'actualité quotidienne, nous met sur des certitudes qu'il n'est plus possible d'escamoter. Les données de la population étant la quintessence même de la liberté et de l'autonomie humaine du citoyen, le temps et l'expérience n'ont fait que démontrer l'urgence d'un coup d'œil sérieux sur cette institution. La perméabilité des données dont dispose ce Centre inquiète à plus d'un titre. Elle inquiète au plus haut degré de la sécurité du citoyen, du pays, et de chacune des institutions vouées à le gérer. Tout ça pour dire que nous avons affaire, ni plus ni moins, à un danger national. Lequel mérite une réorientation du statut de cette institution. En termes crus et faciles, le Centre National de l'Informatique doit être promu à une « Agence Nationale de Données, dépendant directement et exclusivement du Conseil de Sécurité nationale. Ce dernier se présente comme étant le seul organisme d'Etat qui répond à la vitalité et à l'importance civile des données des citoyens tunisiens. De cette façon, les listes et les modifications des logiciels dépendront d'une autorité suprême, à la hauteur des dangers et menaces qui pèsent sur les droits des citoyens à l'heure qu'il est. De cette façon, la responsabilité en ce chapitre n'incombera à aucun poste électif éphémère, fut-ce celui du chef de l'Etat (seul) ou du chef du gouvernement. Continuer sur cette lancée permettra à la Tunisie de bien mériter son label d'Etat moderne et démocratique. Sinon, continuons à engranger les scandales au fil de l'actualité.