Troublante, voire inquiétante, l'allocution du Président de la République la nuit de l'Aïd. Avant même d'en assimiler la teneur, Rached Ghannouchi, président de l'ARP se réinvente « une présidence » pour se draper du drapeau national, et s'adresser à la nation, une première dans les annales de la 2ème république. Sur un ton zen, et grâce à un prompteur humain derrière la caméra, Le président de l'ARP nous a souhaité un Aïd plein de joie et d'allégresse, avec moult monnaies d'espérances qu'il a étalées sur la difficile période à venir. Dans son allocution, le Président de la République semblait à la fois coléreux et déstabilisé. Il a fait appel à la stylistique coranique ainsi qu'à la poésie arabe d'il y a dix siècles, afin d'expliquer et de transmettre ce qu'il ressentait. Des versets du Coran, des paraphrases du texte sacré, et des demi-versets de la poésie d'El Mutanabbi ont fini par convaincre que le Président n'est pas bien dans sa peau. Contrastent avec la noblesse du verbe coranique et l'élégance de l'arabe de Mutanabbi des passages qui s'apparentent plus à des insultes de quartiers. Ses détracteurs, il n'a rien épargné afin de les traiter de malades, allant jusqu'à l'exégèse ! Bref l'allocution de l'Aïd était loin d'installer le peuple dans la joie revenant à de telles opportunités socioreligieuses. C'était un discours de guerre qui n'identifie pas ses cibles. Bien qu'il en délimite les contours. Par ces derniers, il était clair qu'une bataille rangée sévit dans les rangs de l'islamisme politique avec toutes ses ailes et mouvances, les dures et les moins dures. Dans ce contexte, Kaïs Saïed ne peut échapper à cette étiquette. Même son coup de griffe au passage contre les nostalgiques du passé entretient une bonne part de doute quant à son acception. Le Président sait mieux que quiconque que la Tunisie a au moins deux passés, l'un a pris fin en 2011, et le second est celui que le peuple se tape encore, dans un pays livré à l'amateurisme et aux appétits des différents lobbies, avec en premier lieu celui de l'islam et de ses ramifications régionales en phase de guerre fratricide où s'entretuent salafistes, frères musulmans et groupes terroristes se réclamant respectivement de tous les courants criminels qui ont traversé l'histoire de la région. Huit millions de Tunisiens laissés pour compte ! Un grand absent cependant, les masses laïques. Ces catégories de gens pour qui la religion est tout sauf une priorité. En lieu et place, ces masses déclinent de plus en plus bruyamment des identités autres, et par conséquent d'autres aspirations. Des ouvriers, des travailleurs, des agriculteurs, des chefs d'entreprises qui voient sous leurs yeux l'avenir de leur postérité s'évaporer sur des discours plus fumeux et fumistes qui, en dix ans, leur ont ravi non pas la prospérité, mais leur « Dreams » ou aspiration même à celle-ci. Bien qu'il l'ait martelé sans ambages, la Tunisie a un seul Président. Celui de samedi soir n'était pas celui de tous les Tunisiens. Tout au plus, il serait le président des trois millions d'électeurs qui l'avaient porté à la magistrature suprême. Avec trois cents mille « disciples d'Ennahdha et de ses tentacules folkloriques, ils restent huit millions de citoyens qui ont été laissés pour compte dans l'allocution présidentielle de la nuit de l'Aïd. Pratiquement ignorés. A y gratter un peu, on découvre que cette formidable masse se revendique d'autres soucis n'ayant rien à faire avec les affaires religieuses ou confessionnelles que l'on veut imposer à la société comme étant un enjeu politique de première importance. Une économie en berne, des horizons vacillant entre espoir de réforme et abandon face à une vague inédite de corruption à tous les étages de l'Etat, le tout conjugué dans une anarchie où un simple député dispute ses compétences au chef de l'Etat. Une situation où les médias ne cessent de galvauder des inepties du genre « les trois présidences ». Où le député Rached Ghannouchi, tapis au Bardo avec sa famille et ses proches, fait main basse sur l'Assemblée des Représentants du Peuple, et racle dans le sillon de l'une des compétences souveraines de l'Etat, celle de la diplomatie et des relations extérieures du pays. Ce qui inquiète encore plus, c'est l'absence, dans l'allocution présidentielle, de toute référence aux institutions de l'Etat, compétentes en la matière. Comme le Conseil National de la Sécurité, les ministères régaliens, et autres institutions de régulation prévues par la Constitution. Le tout sur fond d'absence préméditée de la Cour Constitutionnelle, laquelle absence est de nature à « illégitimer » et à « illégaliser », à la base, l'ARP et tout le reste. Rien qu'à ce titre, et rien qu'avec ce grave manquement, l'ARP est déjà dissoute. C'est pourquoi la pertinence de l'allocution présidentielle fut complètement à côté.