Il s'appelle Birahima, il a dix ou douze ans et, comme beaucoup d'enfants, il joue au petit soldat avec une mitraillette. "C'est facile. On appuie et ça fait tralala." Sauf qu'ici l'arme est bien réelle et les morts ne se comptent plus. Birahima fait partie de ces orphelins qui ont tout perdu et n'ont d'autre recours, malgré leur jeune âge, que de devenir des sortes de mercenaires dans les guerres tribales qui déchirent des pays comme le Liberia ou la Sierra Leone, les fameux enfants-soldats. Le tableau est atroce : c'est le règne du grand banditisme sous couvert d'activités soi-disant révolutionnaires, des massacres de populations civiles, les pires horreurs. "Mais Allah n'est pas obligé d'être juste avec toutes les choses qu'il a créées ici-bas." Tout est vrai, hélas, dans le livre d'Ahmadou Kourouma qui n'est cependant pas un document mais bien un roman. Ce qui rend encore plus percutante l'horreur racontée par un enfant avec un humour terrible qui renvoie chacun à ses responsabilités et à sa mauvaise conscience. Un enfant abandonné L'Afrique est un continent qui m'a toujours fascinée. Ce roman retrace les événements marquants qui ont touché plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest pendant les années 1990, en particulier le Liberia et le Sierra Leone. Birahima est une jeune ivoirien de 10 ans. Il a été abandonné par sa mère et il quitte son village pour rejoindre, à pied, son unique famille, c'est à dire sa tante qui vit au Libéria. Il va être enlevé en chemin par une bande redoutable, il va connaître l'horreur des camps d'"enfants-soldats", des colonels sanguinaires, des dictateurs ridicules, des religieuses qui manient la kalachnikov pour survivre. C'est un récit qu'on n'oublie pas. Ces pages tragiques de l'histoire de l'Afrique contemporaine sont écrites et analysées par la conscience d'un enfant qui a parfois du mal à exprimer toute l'horreur des situations auxquelles il est confronté. Un enfant privé d'instruction, comme il y en a encore tant dans de nombreux pays et plus particulièrement en Afrique. Le seul lien à la culture et même le seul accès à la culture et à l'instruction sera pour Birahima la lecture régulière d'un gros dictionnaire qui va aider le jeune enfant à mieux préciser ce qu'il ressent et les situations terribles qu'il traverse. Quelle intensité, quelle brutalité dans ce livre! L'horreur et la violence à l'état brut. On compatit face au vécu de ce jeune enfant. Ce livre vous marque, c'est un témoignage d'une force incroyable. A tel point que mon amie américaine qui a vécu en Afrique de l'Ouest pendant cette période, me disait récemment qu'elle n'avait toujours pas pu finir la lecture de ce livre, tant elle retrouvait des situations dont elle-même avait aussi été témoin. Rivalités ethniques La galerie de personnages est absolument stupéfiante: les mots me manquent pour évoquer ce terrible colonel "Papa le Bon"!!! Un Papa qui recrute dans la violence ses enfants-soldats et qui les manipule en les abreuvant de hasch. La soeur Gabrielle qui dirige d'une main de fer son couvent est absolument étonnante: elle n'hésite pas à donner une formation "militaire" à ses religieuses et a été auparavant une exciseuse très connue! Les rivalités ethniques sont remarquablement analysées de même que les conflits entre les différents dictateurs en jeu. Ainsi on peut découvrir les alliances entre plusieurs ethnies, alliances qui compliquent encore plus la situation: rivalités entre Bambaras (= "ceux qui ont refusé") et Malinkés en Côte d'Ivoire, le héros étant lui-même un Malinké et rivalités entre Krahns, Gyos au Libéria, ces deux dernières ethnies s'étant finalement alliées pour mieux lutter contre les descendants des esclaves noirs américains qui ont constitué au fil du temps une classe dirigeante très "fermée". On apprend à cette occasion que les Gyos ont été soutenus par M. Houphouët Boigny, alors Président de Côte d'Ivoire et par le colonel Kadhafi. Voilà les principaux tenants de cette terrible guerre tribale qui va commencer à noël 1989 et qui va se prolonger tout au long des années 1990. On y voit le parcours du très inquiétant Taylor qui a sévi longtemps au Libéria. C'est un témoignage incomparable. L'auteur ivoirien, Ahmadou Kourouma, est né en 1927 et est mort en 2003. Il a obtenu le prix Jean Giono pour l'ensemble de son oeuvre. Le livre "Allah n'est pas obligé" a obtenu, en 2000, le prix Renaudot, le prix Goncourt des Lycéens et le prix Amerigo-Vespucci.