Il a été l'un des piliers du grand Club Africain qui a dominé le championnat après la second Guerre. Ses compagnons avaient de lui une opinion élogieuse. Son capitaine Hédi Saheb Ettabaa, son aîné de dix ans n'avait rien oublié des qualités sportives et humaines de ce joueur qui symbolisait selon lui une belle synthèse des autochtones et des Français. C'est au demeurant l'une des clés de réussite de ce Club Africain dominateur possédant quatre internationaux de valeur remarquable : Akacha, Abdessalem, Ben Ammar et Kebaili. Durin est décédé jeudi à Paris .Il est rare qu'un footballeur puisse vivre 73 ans après avoir remporté un titre de champion. Voici quelques extraits de son portrait brossé par Mohamed Kilani et figurant au livre Les gloires de Club Africain publié en 2010 par Khelil Chaïbi «Pierre Durin La fidélité Pierre Durin figure parmi les footballeurs qui ont fait l'histoire du Club Africain, ayant été de ses premiers sacres et ayant traversé quelques unes des périodes les plus délicates de l'association. C'est le hasard qui lui a permis de se diriger vers le club de Bab Djedid, du fait de ses études au lycée Carnot à partir de 1942. A l'époque, la quasi-totalité des élèves du prestigieux établissement scolaire étaient partisans du Club Africain. Né le 9 octobre 1927 à Béjà, Pierre Durin a vécu son enfance à Oued Maden prés de Ghardimaou où son père exerçait en tant qu'ingénieur des mines. Le décor dans lequel évolue l'enfant change radicalement lorsqu'en 1936, monsieur Durin père envoie son fils à Bizerte pour y effectuer sa scolarité. A l'école, Pierre Durin commence à découvrir le monde sous plusieurs angles : l'enseignement, les cours, la camaraderie, l'internat et ce loisir nouveau, le football. Sa vie prend un tournant brusque avec ce déménagement vers Bizerte, ce qui requiert du caractère de sa part. Il s'appuie sur une éducation rigoureuse fondée sur le respect d'autrui, le goût de l'effort et de l'ambition, et part à la rencontre de ses aspirations. Parmi celles-ci, le football prend une place de choix puisque l'enfance repose essentiellement sur l'activité ludique. Au collège, Pierre Durin se plaît à faire partie des élèves passionnés par le jeu, et le montre constamment pour rivaliser dans ce cadre avec ses camarades. Dans cette grande cour du collège, tous les jours à l'heure de la récréation, c'est un véritable match avec spectateurs qui se déroule Ainsi Pierre Durin se retrouve-t-il au milieu de talents en herbe qui s'affirmeront plus tard à l'échelle nationale, voire en France et qui ont pour noms Hassouna, Ben Nacef ou les frères B'siri. A Aïn-Draham lors de l'année scolaire 1943-44. Durin, qui fait partie de l'équipe de foot du collège, va y être gêné par un commentaire du moniteur de sport qui dira de lui aux autres élèves : « celui-là sera le meilleur parmi vous ». Mais cette année à Aïn-Draham lui permet surtout de rencontrer des élèves venus de Tunis et supporters acharnés des différents clubs de la capitale, en particulier quelques inconditionnels du Club Africain, dont Khaled Laajimi et Azzouz Lasram, à qui le liera jusqu'à nos jours une solide amitié. Puis le lycée Carnot l'accueille un an plus tard. Pierre Durin est frappé par la popularité du Club Africain au sein des élèves, parmi lesquels Mounir Kebaïli, mais également par la notoriété d'un enseignant, professeur d'éducation physique la semaine et joueur sous les couleurs rouges et blanches le dimanche, Hédi Saheb Ettabaâ, qui n'est l'aîné de ses élèves que de dix ans seulement. Il n'en faut pas beaucoup plus que cela pour qu'il emprunte lui aussi le chemin des terrains d'entraînement du Club Africain. Dès le premier dimanche, à 8 heures du matin, Pierre Durin est appelé au parloir. Il y trouve trois personnes qu'il ne connaît pas encore : l'oncle de son ami, Abdelmalek Ben Achour, Abdelhamid Bellamine, et Hamadi Jouini, qui se présentent à lui licence en main. Sa première licence est signée aussitôt. Le Club Africain sera son seul et unique club. Durant ses quatre premières années au CA, Pierre Durin jouera également au basket avec l'équipe du Club, en compagnie de Ben Ammar, Mahmoud Bellamine ou Skander Saheb Ettabaâ et autres Chennoufi... De la cour du collège de Bizerte à la première licence en première année junior, huit années se sont écoulées, et bien des rencontres ont eu lieu. Dès lors, une nouvelle vie commence pour ce jeune homme, très intégré dans son environnement, pour qui la mentalité tunisienne n'a pas de secret indépendamment de sa nationalité et de la situation du pays, et qui a parfait grâce au football sa connaissance de la psychologie humaine. Sur le plan purement footballistique, ses qualités techniques l'imposent d'emblée, et son premier match face au CSHL juniors est haut en couleur et riche en émotions : débutant la partie comme attaquant, il marque deux buts, puis se replie en défense après que son équipe ait encaissé deux buts. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître puisqu'il s'installera définitivement à ce poste de défenseur, y démontrant des qualités évidentes, combinées à un niveau technique au-dessus de la moyenne des habituels titulaires du poste. Il est manifeste que son expérience d'attaquant a facilité cette mutation, en raison de la qualité de sa lecture du jeu également. Ses camarades s'appellent Bach Hamba, Ben Brahim, Tarak, Lajimi et Majeri Henia, avant le départ de ce dernier vers Hammam-Lif. Les ambitions sportives de Pierre Durin commencent à se préciser, d'autant que les seniors du Club ne cessent de progresser et de s'affirmer sur le plan national grâce à Akacha, le maestro, Ben Ammar, Abdessalem, Dhib, Gabsi ou Saheb Ettabaâ, la cheville ouvrière de l'équipe. En les regardant jouer, Pierre Durin se motive afin d'accroître ses chances de les côtoyer un jour sur le terrain, et fournit encore davantage d'efforts à cette fin. Il profite des critériums de guerre et de la période de compétitions tronquées que vit le pays pour faire une incursion chez les seniors. Malgré la qualité des habituels titulaires et ses propres réticences car il est encore junior, il est titularisé à partir de 1945. Son second match à lieu Bizerte qu'il a quitté deux ans auparavant, contre le Patriote FCB. Il termine le match avec les éloges de ses camarades, de ses dirigeants et... des dirigeants du PFCB qui pourtant avaient émis des réserves contre lui sous le prétexte qu'il habitait Ghardimaou, et de ce fait n'était pas qualifié à jouer sous les couleurs d'un club tunisois. Pour son troisième match, au stade municipal du Belvédère à Tunis, il affronte l'Espérance, qui fait partie avec l'US.Tunisienne des grosses équipes de la capitale, et compte en ses rangs des joueurs célèbres, tels Laroussi, Soudani, Draoua , Klibi, ou Ben Tifour. A l'UST, ce sont Touil, Darmon, Younés ou Perez qui font les beaux jours de l'équipe, tandis qu'au Club Africain, en plus de Taïeb, Saheb Ettabaâ, Dhib, Belgacem, Akacha, Ben Brahim, Tarak, le nouveau venu peut parfois évoluer en compagnie de Boujemaâ Kmiti, le béjaois de retour de Colmar. Chafia Rochdi, la marraine de l'équipe, qui la soutiendra financièrement, vient souvent dans les vestiaires pour encourager les joueurs. Le Club termine cette dernière saison de critérium honorablement tandis que Pierre Durin est champion de Tunisie scolaire avec son équipe du lycée Carnot. La fin de la guerre et la victoire des Alliés ont été un soulagement pour Pierre Durin comme pour le reste du monde, et il a pu poursuivre ses études comme sa carrière footballistique l'esprit en paix. Son baccalauréat ayant été acquis avec succès, il peut se lancer dans la très belle aventure de la conquête du titre national. La reconversion de Gaston Taïeb, devenu gardien de but, apporte des garanties et les séances de musculation effectuées dans la salle de gymnastique jouxtant le lycée Carnot ont produit un effet durable et permettent aux rouges et blancs d'être l'équipe la plus physique de la compétition, ce qui est un avantage conséquent. Malheureusement Pierre Durin est hospitalisé pour une sinusite aigue et une péritonite très grave, et tout effort lui est interdit. Il doit abandonner ses camarades qui mèneront le CA à la victoire, champion de Tunisie. Car le Club Africain domine la saison 1946-47, et permet à Durin de savourer en partie par procuration le titre de champion, obtenu de haute lutte et à la faveur d'un résultat positif face au rival désormais traditionnel de l'Espérance. S'il a du manquer l'essentiel de la saison, il peut se considérer légitimement comme l'un des artisans de cet exploit, le premier du Club depuis sa création en 1920. Il est surtout heureux pour les vétérans de l'équipe, qui voient leurs sacrifices de longue haleine comme leurs talents récompensés par ce titre, qui efface par ailleurs définitivement le spectre d'une carrière infructueuse. Lui-même se sent valorisé en se retrouvant, à l'âge de vingt ans à peine, dans la cour des très grands. En septembre 47, complètement rétabli, il est appelé à faire son service militaire à Tunis, ce qui permet au Club Africain de le conserver, et au joueur de rejoindre ses camarades et d'occuper son poste de demi au moment d'attaquer la saison 1947-48. Le challenge est encore plus excitant puisque le Club Africain, renforcé par Youssef Gabsi notamment, s'attelle à conserver son titre. Le résultat est encore une fois spectaculaire et se traduit par un second titre de rang, obtenu cette fois-ci après une lutte face aux clubs du nord (l'USM.Ferryville et le PFC.Bizertin). Mais la saison 1948-49 lui occasionne une déception avec l'échec du CA à conserver le titre et réaliser l'exploit de le remporter trois fois de suite. Il doit cependant constater avec regret que les différentes retraites certifient qu'au Club Africain, pour un temps du moins, le niveau de jeu ne se hissera plus aux mêmes sommets qu'auparavant. La suite confirme ses appréhensions puisque l'Etoile succède d'abord au CAB, avant que les professionnels du CSHL princier n'exercent une mainmise sans partage sur la compétition. Les crampons raccrochés, une autre vie commence alors pour ce fils de la Tunisie, qui fonde dans la foulée un foyer avec une Française native comme lui de Ghardimaou. Dès lors, Pierre Durin établit un autre rapport avec la vie, son pays natal et le Club Africain. Ses navettes entre la France et la Tunisie deviennent périodiques et régulières, liées à la réalisation d'un projet industriel destiné à l'exportation à Grombalia. Demeurant à cheval sur les deux rives de la Méditerranée, il peut ainsi préserver le caractère original de ses origines et perpétuer sa relation d'amitié avec Hédi Saheb Ettabaâ, Azzouz Lasram, Khélil Ladjimi, Hédi Hamoudia, et tous les anciens du club. Sans omettre de suivre les affaires du Club Africain à relative distance, avec ce qu'elles produisent de joies, de souffrances et d'interrogations.