Un livre qui, avant toutes choses, nous fait partager l'amour de la langue française tant Amin Maalouf sait parfaitement nous en donner le goût, à en préciser les sens, la valeur exacte. ‘'Le naufrage des civilisations'', un livre sorti en janvier 2019 et qu'on se fait plaisir de relire avec le même engouement de la première lecture. Et on se laisse bercer par la petite musique narrative d'un beau texte qui nous met face à la laideur du quotidien. Et d'un monde en totale perdition morale. Dérèglement du monde, montée des violences, courses aux armements, graves menaces sanitaires et environnementales ... l'écrit d'Amin Maalouf est au cœur de l'actualité et il informe d'un naufrage imminent des civilisations. Le constat est plutôt convaincant et cela nous donne envie de mettre au premier plan les valeurs morales qui n'ont plus leur place dans des sociétés qui s'enfoncent de plus en plus dans l'immoralité. L'auteur évoque les Etats-Unis et l'Europe qui étaient porteurs d'un projet pour notre époque mais qui se voit partir en fumée, tandis que les nations émergeantes comme la Chine , l'Inde et la Russie se mettent au devant de la scène même si l'ambiance générale est « délétère ». La conscience de notre époque L'auteur assume parfaitement son rôle de « conscience morale de notre époque ». Il procède à l'exposé de faits de l'histoire qui nous permettent de comprendre l'évolution du monde. Le livre qui comporte quatre grands chapitres réserve sa première partie (Un paradis en flamme) à l'analyse de la défaite du monde arabo-musulman qui va de pair avec l'apparition de l'islam politique et le démembrement de l'Empire Ottoman . Dans la partie « Des peuples en perdition » l'auteur parle de ce sentiment d'amertume qui caractérise les Arabes. Une ‘'haine de soi'' qui coïncide avec les guerres arabo-israéliennes. Juin 1967 est une date importante qui rappelle la guerre des « Six jours » qui a laissé des traces indélébiles dans la conscience arabo-musulmane. Le troisième chapitre « L'année du grand retournement » évoque particulièrement l'année 1979 emblème de la révolution conservatrice de Tatcher et Reagan et celle de la révolution islamique de Khomeiny en Iran. .... Le quatrième et dernier chapitre « Un monde en décomposition » montre l'évolution du monde suite à des événements historiques marquants. « Désormais, c'est le conservatisme qui se proclamerait révolutionnaire, tandis que les tenants du "progressisme" et de la gauche n'auraient plus d'autre but que la conservation des acquis. » écrit-il dans la page 170. Amin Maalouf ‘'appartenant au passé ‘' a encore des choses à nous dire. Lui qu'on peut considérer comme étant être à la jonction d'un monde qui s'estompe celui d'une culture large , métisse et ancienne. On a souvent le sentiment de se reconnaître dans les travers qu'il dénonce et les dérives successives de l'humanité qu'il expose , sauf que là il n ya rien de passéiste dans les plaidoiries exigeantes de l'auteur. Et pour terminer sur une note d'espoir reprenons ce beau passage de la page 78 où on peut lire « Je ne doute pas qu'il se trouve, sous tous les cieux, d'innombrables personnes de bonne volonté qui veulent sincèrement comprendre l'Autre, coexister avec lui, en surmontant leurs préjugés et leurs craintes. Ce qu'on ne rencontre presque jamais, en revanche, et que je n'ai connu moi-même que dans la cité levantine où je suis né, c'est ce côtoiement permanent et intime entre des populations chrétiennes ou juives imprégnées de civilisation arabe, et des populations musulmanes résolument tournées vers l'Occident, sa culture, son mode de vie, ses valeurs. Cette variété si rare de coexistence entre les religions et entre les cultures était le fruit d'une sagesse instinctive et pragmatique plutôt que d'une doctrine universaliste explicite. Mais je suis persuadé qu'elle aurait mérité d'avoir un grand rayonnement. Il m'arrive même de penser qu'elle aurait pu agir comme un antidote aux poisons de ce siècle. » M.B.G