p class="p1" style="text-align: justify; text-indent: 8.5px; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 13px; line-height: normal; font-family: "Myriad Pro";"Le Temps - Raouf KHALSI p class="p2" style="text-align: justify; text-indent: 8.5px; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 11px; line-height: normal; font-family: "Myriad Pro";"Il est peut-être arrivé un peu trop tôt, ou alors un peu trop tard. Un peu trop tôt, peut-être parce que le paysage politique s'étant mu depuis la révolution ne se décante toujours pas et qu'il est ainsi configuré qu'il n'y a pas encore de place pour un antisystème comme lui. Malgré les clivages faussement idéologiques, ce paysage est pour tout dire verrouillé. Un peu trop tard, peut-être parce que tout ce qu'il y a à prendre a été pris par ces castes qui ont fait que la révolution ait été méthodiquement récupérée et qu'un ordre nouveau ait carrément défiguré les fondamentaux de cette « révolution de la dignité », une révolution dont on dirait qu'elle est, désormais, fantasmée. Kaïs Saïed est venu de très loin. Engoncés dans leurs jeux d'intérêts, toujours aussi résolus à désinstitutionnaliser l'Etat pour qu'émerge une corrosive partitocratie, la classe politique dominante n'a pas prévu qu'un homme qui ne représente rien, mais qui représente tout, allait réussir un véritable coup d'éclat. Son élection massive, la masse invisible de ses électeurs, cette formidable mobilisation autour de ses idées devaient normalement briser tous les carcans. Une quête d'espoir. Une bouée de sauvetage. L'attente d'un changement salvateur... Secouer ou ameuter le peuple ? Ce qui différencie Kaïs Saïed de tous les présidents qui l'ont précédé, c'est que, à priori, il ne se résout toujours pas à intégrer les contraintes qu'induit partout dans le monde, ce qu'on appelle « le métier de Président ». A l'évidence, il n'aime pas « Le Palais ». Il n'aime pas Carthage d'où se dégagent les fameuses « odeurs et senteurs », c'est-à-dire ce haut lieu des intrigues florentines et cet antre, hanté, des mystères. Il aura mis du temps à intégrer « Le Palais », préférant son petit capucin matinal à la Mnihla, histoire de montrer aussi qu'il est un homme du peuple, ce peuple qu'il a juré d'arracher à l'asservissement auquel l'a condamné « la classe politique ». Plus tard, quand il appelle à ce qu'on lui ramène le fameux Rouiha qui lui avait offert un œuf, ou qu'il aille acheter lui-même une baguette, tout cela dans son esprit, le rapproche davantage des miséreux, de ceux qui souffrent au quotidien pour leur survie. Populisme, dit-on...Mais dans sa psychologie, c'est là sa vocation. Chemin faisant, il prenait goût aux visites inopinées dans des contrées qu'il ciblait parcimonieusement. Et il ameute les foules : « vous devez recouvrer vos richesses spoliées ». Tous les biens détournés vous reviennent de droit. Il n'en était pas moins en cohérence avec ses idées : le localisme induisant une autonomie décisionnelle des régions et l'autogestion de leurs propres ressources. Et, d'ailleurs, voilà qu'on raconte qu'il concocterait un projet de loi de réconciliation avec ceux qui ont détourné l'argent et les biens de la communauté nationale, à charge que ces biens génèrent des projets de développement au profit des régions oubliées par la croissance. La coordination d'El Kamour, par exemple, y trouverait son bonheur. Sauf que cette ébauche de décentralisation, dont les observateurs avertis disent qu'elle est à mi-chemin entre les utopiques « comités populaires » de Kadhafi et les théories marxistes-léninistes, auront pour effet, au-delà de leurs nobles visées, d'installer une décentralisation et un morcellement du pouvoir de décision, allant à contre-sens de ce qu'il n'a pourtant cessé de prôner : la prééminence de l'Etat. Or, qui incarne cette prééminence ? Sans doute, cherche-t-il aussi à ré-humaniser cet Etat gangréné par la ploutocratie. Sauf qu'il ne se doutait pas que l'Etat est morcelé. Et du coup, le constitutionnaliste qu'il est réalise à quel point la deuxième constitution de la Tunisie et la deuxième république, ne laissent pratiquement rien au Président, en dehors de la Défense et de la Diplomatie... Ces initiatives qui tardent à venir L'ennui, c'est que Kaïs Saïed s'est vite laissé tarauder par le syndrome conspirationniste. Du coup, il se renferme sur lui-même et ne rate aucune occasion dans ses entrevues, ou dans ses sorties populaires -qui se font de plus en plus rares- de dénoncer ce qui se trame dans « les chambres noires ». Et il ne cesse de le répéter et, surtout, depuis que Rached Ghannouchi s'est auto-proclamé « président de tous les Tunisiens à travers les élus du peuple », dès son accession au perchoir de l'Assemblée. Il y aurait, donc, une dualité, un nouvel algorithme qu'Einstein lui-même ne saurait résoudre : un Président de la République, face à « un Président de tous les Tunisiens ». Le second, les Tunisiens, justement, n'en veulent pas. Lui, Kaïs Saïed, « Président de la Tunisie à l'intérieur et à l'extérieur » (c'est ce qu'il répète sans cesse), les Tunisiens, surtout ces 70% d'électeurs qui l'ont plébiscité attendent beaucoup plus de lui. Sauf que « l'homme révolté » qu'il est, au sens de ce qu'Albert Camus entend par « homme révolté », se rabat sur les mythes, sur des modèles de gouvernance de quatorze siècles en arrière. Cette identification en le Calife Omar était, sans doute, parcimonieusement choisie pour désavouer l'islam politique de chez nous. Mais elle a plutôt été perçue comme une hérésie, même par ceux qui ont voté pour lui. Du reste, sa démarche, sa méthode de travail privilégiant les correspondances écrites au détriment du dialogue direct, paraissent, pour le moins, atypiques. Cette tendance à s'ériger au-dessus des institutions, à faire de mauvais choix dès lors qu'il s'agit de Chef du gouvernement, tendent par ailleurs, à brouiller les champs de compétences de l'un et de l'autre, pour tordre le coup à la constitution et à réduire le Chef du gouvernement au mièvre rôle de Premier ministre: cela n'a pas pris. En fait, en dehors de l'instabilité gouvernementale, en dehors des slogans, on s'attendait tous à ce Kaïs Saïed entreprît de lancer une batterie de projets de lois pour le parachèvement de la transition démocratique. Aucune initiative pour accélérer la mise en place de la Cour constitutionnelle. Pas davantage pour réformer le système électoral qui n'a fait que propulser des « monstres » à l'Assemblée. Aucune proposition pour réformer ce régime politique qui joue pourtant contre lui. Peut-être, n'y croit-il pas lui-même. Peut-être aussi qu'il réalise le calvaire d'être Président avec la peur d'y croire. Quant à la percussion diplomatique, son domaine exclusif, eh bien l'on ne saurait comprendre qu'il brille par son absence, et surtout lors des sommets sur la Libye. Du moins, il y aurait à espérer que les 6,7 et 8 novembre, il dominera la scène dans le sommet décisif qui se tiendra en Tunisie. Il ne faut pas laisser la question libyenne aux mains de Rached Ghannouchi, exécutant de la stratégie de l'axe Ankara-Doha. Un an de tergiversations. Un an pour prendre conscience des ravages causés par la classe politique. Mais c'est suffisant pour que Kaïs Saïed monte, enfin, au créneau. On raconte qu'il est aussi sartrien. Ne serait-il pas enclin à s'inspirer de Sartre et de sa fameuse formule : «Tout un homme, rien qu'un homme et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui» ? Et, surtout, surtout, faire en sorte qu'il apporte un démenti à ceux qui l'ont baptisé «Le Président mystère». p class="p2" style="text-align: justify; text-indent: 8.5px; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-stretch: normal; font-size: 11px; line-height: normal; font-family: "Myriad Pro";"