Il a fallu attendre plus qu'une année pour voir les effets de la révolution tunisienne sur son système fiscal. Le contribuable tunisien a, enfin, droit à une majoration du droit de timbre sur les factures et une augmentation du minimum de perception pour les droits d'enregistrement de 15 à 20 dinars. Est-ce de la plaisanterie ? Oui bien sûr, ça ne peut être que cela. Parce qu'avec une loi de finances pareille on passe, malheureusement, une fois de plus, à coté de l'essentiel. Le problème majeur, à mon avis, est un problème de démarche. On avait, en effet le choix entre trois possibilités : Soit continuer avec la démarche adoptée auparavant, qui consiste à confier exclusivement aux services de l'administration fiscale et du budget le soin de définir les orientations budgétaires en termes d'emplois et de ressources et de décider des mécanismes fiscaux qui en découlent. Soit se baser sur les orientations définies à travers la politique générale de la constituante en tant qu'organisme souverain reflétant la souveraineté du peuple et de la révolution. Soit partir d'une consultation nationale généralisée auprès de toutes les parties prenantes et des professionnels. Une consultation qui serait basée sur un diagnostic de la situation actuelle et une réflexion profonde pour identifier les solutions adéquates en termes de conceptions des impôts et taxes et des modalités de leur perception. La loi de finances initiale préparée par un gouvernement démissionnaire pour un autre qui s'installe, n'a pas apporté du nouveau et elle n'a pas traduit la politique générale à adopter. D'ailleurs, deux jours seulement ont été réservés par la constituante, en plein débat sur la petite constitution, pour la discuter. On s'attendait à ce que la loi de finances complémentaire soit plus innovatrice et constitue le point de départ d'une réforme fiscale tant attendue. Il aurait fallu, pour ce faire, lancer dès le début de l'année une consultation nationale auprès de toutes les parties prenantes, homme d'affaires, économistes, syndicalistes, experts comptables, fiscalistes, etc. Mais étant donné qu'on a adopté la démarche classique de rédaction de la loi, il serait très difficile de sortir du cadre défini. Le secrétaire d'Etat chargé de la fiscalité a beau mis en exergue la participation du Conseil National de la Fiscalité dans l'examen préalable de la loi, comme étant une nouveauté de l'après révolution ; sauf que cela était la pratique du gouvernement Ben Ali, qui a substitué la politique des consultations à la démarche démocratique proprement dite. Rien de nouveau donc dans le paysage. L'exemple illustratif est celui portant sur les mesures de lutte contre le chômage. Le projet rendu public de la loi de finances complémentaires, prévoit une réduction supplémentaire de la base imposable des salaires de 50% avec la limite de 3000 dinars avec l'exonération de la taxe sur la formation professionnelles et de la taxe relative au fonds de promotion du logement social. Il s'agit d'un effort considérable de la part de l'administration fiscale qui reste sujet à plusieurs limites : Primo : s'agissant de la problématique essentiel qui était à l'origine du mouvement contestataire du 17 décembre, pourquoi limiter cette mesure aux seules entreprises régies par le code des incitations aux investissements ? le chômage est la responsabilité de tous les tunisiens, tout employeur prêt à offrir un poste d'emploi devrait, normalement, bénéficier de cet avantage. Secundo : le fait de limiter cet avantage aux nouveaux emplois est absurde, parce qu'un recrutement, quelque soit sa nature est synonyme de la création d'un poste d'emploi ailleurs et donc, une participation même indirecte dans l'effort national de lutte contre le chômage. Tertio : prévoir trop de conditions pour bénéficier de l'avantage fiscal ne peut que nuire à la mesure prescrite. Nous risquons ainsi les excès de zèle de l'administration qui va exiger de la paperasse à la pelle telle que l'attestation de non inscription à l'université, pratique déjà entamée qui ne peut qu'altérer le droit à l'enseignement. Tout compte fait, et au risque de subir personnellement un contrôle fiscal, je dirai que nous attendons toujours les prémisses d'une vraie révolution dans le système fiscal. La légitimité politique est importante, mais rien ne passera sans la légitimité de la compétence. Anis WAHABI