Roberto Gandini est un réalisateur théâtral, ex-acteur converti avec conviction à la coordination artistique dans le cadre du laboratoire théâtral intégré « Piero Gabrielli ». Il était présent à Djerba, grâce au précieux concours de l'Institut Italien de Culture de Tunis, dans le cadre de la 21è édition du festival Farhat Yamoun de théâtre, à laquelle il avait été invité pour parler de l'expérience du théâtre intégré et diriger l'atelier de formation organisé à cet effet au profit des enseignants et des étudiants. Le Temps : comment est née cette expérience de théâtre intégré ? Roberto Gandini : c'est une expérience de laboratoire théâtral destinée aux élèves normaux ou souvent porteurs de handicap. L'organisateur théâtral, Piero Gabrielli, qui donne son nom au laboratoire, nourrissait le « rêve » de favoriser l'intégration par le théâtre où la parole, le geste, le rythme et la mimique, dans la magie des sons et des lumières de la scène, sont susceptibles de faire émerger les potentialités restantes d'une personne handicapée, de façon à lui permettre de développer sa personnalité, de s'exprimer, d'être vif et de participer. Les enfants porteurs de handicap ont montré l'étendue de leurs capacités sur scène, d'où la conviction partagée de plusieurs partenaires, opérateurs théâtraux, enseignants, et spécialistes socio sanitaires de lancer le projet de former une compagnie de jeunes acteurs pour produire des spectacles pour écoles durant certaines périodes. Un accord entre la municipalité de Rome, le Théâtre de Rome et le ministère de l'Instruction, de l'Université et de la Recherche a été conclu pour soutenir l'expérience. De ce fait, s'est répandue dans beaucoup d'écoles de Rome cette pratique du théâtre intégré, facilitée sans nul doute par la loi en vigueur en Italie stipulant l'insertion obligatoire des élèves porteurs de handicap dans les écoles. *Le bilan d'une telle expérience est-il concluant? -Le laboratoire « Piero Gabrielli » est une réalité vieille de 18 ans, au bilan révélateur : 360 écoles, 1965 enseignants à pied d'œuvre, 330 opérateurs théâtraux, 9857 enfants dont 2106 porteurs de handicap, presque 200 spectacles réalisés par mes collaborateurs ou par moi-même et 45 vidéos produits. Faire entrer les enfants porteurs de handicap dans des écoles où ils seront en contact avec des élèves normaux n'est guère une faveur dont on gratifie la famille, mais on ne fait que promouvoir un parcours d'intégration entre eux à travers l'instrument théâtral ; on ne fait qu'amener les enfants normaux à changer de mentalité, de regard envers le handicapé. On a souvent la fâcheuse tendance à ne focaliser que sur le handicap porté par l'enfant, en négligeant sa personne et ce qu'il a comme potentialités et capacités. L'enfant handicapé n'a point besoin de pitié, ni de cette fausse fraternité, ce dont concrètement je me garde de faire dans mon travail : j'agis au contraire sur l' énorme énergie qu'il porte à l'intérieur de soi et sur ses capacités de raconter ses douleurs et son mal être, pour lui permettre de s'ouvrir, de mieux vivre ensemble avec ses camarades, d'être un citoyen sain et autonome. Les statistiques sont édifiantes : comme ils s'initient depuis leur tendre enfance à l'expérience du théâtre intégré, nos enfants, une fois grands, deviennent remarquablement autonomes ; dans la ville de Rome, 90% de nos enfants handicapés, ayant acquis leur autonomie, ne dépendent que d'eux-mêmes, rentrent seuls le soir après les entraînements, se débrouillent pour prendre le métro. Comme nous sommes tous condamnés à être porteurs de handicap quand nous serons vieux et vulnérables, ce que je fais donc avec les autres, je le fais pour moi, pour construire un monde meilleur et fonder un modèle sociétal où le handicap ne sera pas un facteur de différenciation et d'exclusion. *Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans votre travail de coordinateur artistique de théâtre intégré ? -Je suis constamment habité par la crainte de décevoir mes collaborateurs et les enfants dont j'ai en charge la responsabilité de donner la possibilité de s'exprimer, le plaisir de se divertir et la joie de s'impliquer. L'intégration est difficile, et pour la réussir, il faut se garder de voir les différences entre les enfants handicapés, et ne considérer que le spectacle, dans lequel il ne faut pas mettre en scène la pitié, mais uniquement la saveur de la différence. C'est une véritable bataille à gagner. *Vous avez visité un centre pour handicapés. Comment évaluez-vous ce contact ? -J'ai eu la même impression qu'il y a vingt ans à Rome, à l'entame de cette merveilleuse expérience de théâtre intégré. Les enfants n'étaient pas à l'aise, et leurs familles étaient embarrassées par le handicap de leurs progénitures devant cette présence étrangère qui était la mienne. Sur un autre plan, l'atelier de formation que j'ai dirigé au profit des enseignants et des étudiants m'a permis de percevoir beaucoup d'enthousiasme et de volonté d'agir dans le sens de la réhabilitation des porteurs de handicap, et de leur prêter main forte pour faciliter leur intégration et en faire des citoyens sains. Une réforme « révolutionnaire » prônant l'insertion des handicapés dans les écoles tunisiennes avec leurs différences et leur handicap, et la pratique de l'approche du théâtre intégré est vivement et unanimement sollicitée et recommandée. La Tunisie vient de faire sa révolution, tous les espoirs sont donc permis, à ces jeunes étudiants et à ces enseignants de s'adonner à cette passion naissante et spontanée du théâtre intégré.