«Nous avons décidé de suspendre le Dialogue national jusqu'à ce qu'il y ait un terrain favorable à sa réussite », déclarait, l'air grave, lundi tard dans la nuit, le Secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abbassi. Il dissimulait mal sa colère et son dépit et trouvait juste la formule édulcorée pour ne pas prononcer le mot échec. Mais, au fond de lui-même, M. Abbassi sait qu'il est de plus en plus difficile de réunir autour de la même table les différents acteurs politiques sur la scène pour un hypothétique compromis qui ne se réalisera peut-être jamais. En laissant la porte entrouverte, le Secrétaire général de l'UGTT cherchait, certainement, à ne pas couper définitivement les ponts et à ménager les sentiments des Tunisiens attachés à ce dialogue comme l'ultime issue pour sortir d'une crise inextricable et voir le bout du tunnel après trois années post-révolution difficiles, tumultueuses et stressantes. Seulement, et comme nous l'écrivions dans notre édition d'hier, les Tunisiens, ébranlés par les dernières désillusions, déçus, « allaient au lit taraudés par les soucis et le spectre d'un avenir incertain ». Et ce ne sont pas les déclarations optimistes du président d'Ennahdha qui vont les rassurer. Rached Ghannouchi déclarait, en effet, que « le dialogue national va reprendre à un moment ou un autre, car le pays en a besoin désespérément ». Il n'a pas expliqué comment et on ne voit pas par quel miracle les antagonismes d'aujourd'hui pourraient disparaître d'un coup pour laisser la place à l'entente et au compromis. Car les dix jours du dialogue national infructueux ont ancré la certitude chez la majorité de Tunisiens que l'intérêt suprême de la Nation importe peu devant les intérêts partisans et étriqués des partis. Les dix jours de ce dialogue ont également fait ressortir une réalité que beaucoup ont tendance à oublier dans le tumulte des événements, l'habilité de manœuvrer du parti Ennahdha et la faiblesse de l'opposition, sa désunion dans les moments fatidiques. Le parti dominant au pouvoir est allé au dialogue quelque peu forcé. Il a fini par obtenir gain de cause et aurait même réussi à lézarder les rangs de l'opposition. C'est dans ce cadre que des bruits circulent sur des ralliements secrets moyennant promesses et appuis électoraux. De ce fait, le paysage politique pourrait connaître un chambardement avec de nouvelles alliances et de nouvelles compositions. Le tout conditionné par la course au pouvoir et la convoitise des fauteuils. Pendant ce temps, le pays continue de s'enfoncer dans la crise, livré à lui-même face aux dangers de toutes parts. Et le peuple constate, jour après jour, qu'il est le dindon de la farce et voit les horizons s'assombrir face à un saut vers l'inconnu et un avenir incertain.