Tout le monde, en Tunisie, parle de la crise : crise économique, crise politique, crise culturelle, à un point tel qu'on a l'impression que plus rien ne va, que tout n'est que désordre, flou et médiocrité et que nous sommes vraisemblablement à un pas, si ce n'est pas à un seul doigt du gouffre. Tout le monde, en Tunisie, du simple citoyen à l'expert, en passant par les théoriciens et les journalistes, discute, parle et reparle jusqu'à la redite ennuyante et sans intérêt et montre du bout du doigt les défaillances et les carences institutionnelles sociales, économique, mais faute de pouvoir, de savoir et du vouloir, tout le monde campe dans ce carré réduit du discours, de la parole et du dit pur et simple. C'est vrai, aujourd'hui, que la Tunisie, tout entière, est un chantier, que les lacunes fusent de partout et dans tous les sens et que les attentes et les revendications ne se comptent plus. C'est vrai aussi, qu'aujourd'hui, les difficultés sont réelles et que les espoirs sont légitimes, mais, réalité et légitimité ne riment guère avec cette absence quasi-totale du sentiment d'appartenance à ce pays ou avec ce manquement inexplicable à assumer notre responsabilité et à s'acquitter tant peu soit-il de notre responsabilité envers cette terre jadis mille fois verte, mais qui se noircit jour après jour. Ce qui est encore plus vrai, aujourd'hui, c'est que tout le monde n'accorde aucun intérêt au travail et au devoir qu'exige la citoyenneté dans le sens propre du terme. A cette heure, l'heure de vérité, l'essentiel pour nous tous c'est de se respecter mutuellement, de payer ses impôts et d'être prêts pour des sacrifices. A cette heure, l'heure de vérité, l'urgent c'est de se ranger du côté d'un pacte sociétal de premier ordre : travailler et rien que travailler. A cette heure, l'heure de vérité, il n'est plus permis à quiconque de refuser aux autres un mètre carré pour installer un poteau d'électricité qui illuminerait la nuit de tout un village, il n'est plus permis aux hommes d'affaires de refuser quelques dinars à l'ouvrier qui peine jour et nuit pour subvenir aux besoins innombrables et incessants de sa famille, comme il n'est plus permis aussi de se débarrasser de ses ordures ménagères en pleine rue. A cette heure, l'heure de toutes les vérités, il est inévitable de se pencher en toute âme et conscience sur le travail, sur le parfaire et sur le savoir-faire. Ce n'est qu'à cette heure seulement que nous pouvons passer du registre de la parole, du discours et dudit pur et simple, au registre de l'acte, de l'action collective... bref, du non-dit. Certes, le terrain est difficile, glissant mais reste praticable et permet à la Tunisie de faire peau neuve et de se reverdir comme jadis.