La Tunisie vit depuis des semaines sur la préparation du déplacement éventuel du chef du gouvernement, du ministre des finances et du gouverneur de la Banque Centrale à Washington dans le cadre des rencontres du printemps du FMI et de la Banque Mondiale et qui auront lieu ce 3 Mai. Des réunions sont prévues avec les principaux bailleurs de fonds et qui vont déterminer le futur de ce gouvernement et même celui du pays tout entier. La question du financement du budget de l'Etat pour 2021 sera la question principale. Il faut dire que cette mission ne part pas dans de bonnes conditions avec une instabilité politique chronique et des problèmes économiques structurels. De leurs côtés les bailleurs de fonds exigent des interlocuteurs stables et crédibles. Et entre nous, ils ont tout à fait raison. Un pays criblé de dettes : La situation des finances publiques est catastrophique, et le pays est aux bords d'un défaut de paiement. Le scénario grec ou libanais se dessine encore plus devant ce gouvernement. L'enjeu est crucial : comment boucler le budget 2021 et arriver à assurer le minimum et même les salaires des fonctionnaires qui vont atteindre plus de 19 milliards de dinars cette année. Selon le budget 2021, l'Etat aura besoin de 19.5 milliards de dinars, avec des difficultés énormes à mobiliser cette somme vu la conjoncture politique nationale et surtout l'impact désastreux du Covid-19. Rien que pour cette année la Tunisie aura à payer plus de 8.5 milliards de dinars de dettes extérieures, intérêt et principal. Selon le ministre des finances le déficit est estimé à 11,5% du produit intérieur brut en 2020 et la dette publique est remontée à 90% du PIB. Si on inclut l'endettement des entreprises publiques, le taux d'endettement dépassera 105%. Quant au service de la dette extérieure, il représente près de 16% des recettes courantes en 2020 contre environ 9% en 2010 selon la BCT. Au mois de Janvier dernier, Ali Kooli avait déjà déclaré à l'agence Reuters que la Tunisie a une réelle possibilité d'aller sur les marchés pour au moins 1 milliard de dollars en 2021, et que la somme de 3 milliards de dollars serait également possible. Une déclaration optimiste mais qui a été faite avant l'annonce le 23 Février dernier, de la dégradation de la note de la Tunisie par l'agence Moody's de B2 à B3, tout en maintenant les perspectives de cette notation à « négatives ».
Des atouts et des réformes : Depuis quelques semaines le gouvernement essaye de remplir son dossier par des points positifs. Dans un premier lieu, l'UGTT et le gouvernement ont signé un accord pour la restructuration de7 entreprises publiques. Un accord qui s'apparente plus à une déclaration d'intentions plutôt qu'à un engagement sérieux. N'empêche que cette carte militera beaucoup en faveur du dossier tunisien. L'autre élément est l'augmentation importante des prix des hydrocarbures la semaine dernière. Réduire la subvention est l'une des exigences importantes du FMI. Un autre atout va soutenir la position gouvernementale est la démarche adoptée pour la préparation de la feuille de route qui va être présentée à Washington. En effet, l'équipe Mechichi a choisi l'option de la concertation en optant pour des discussions avec les principaux partenaires et experts nationaux sur les sujets économiques. Ce fut l'objet des rencontres de Beit El Hikma. Sur le dossier politique et la stabilité gouvernementale la Tunisie ne cumule que des points négatifs, c'est même son talent d'Achille sur lequel elle sera attaquée par les représentants des bailleurs de fonds. L'autre point négatif c'est l'état d'avancement des réformes exigées par le FMI principalement. En effet, depuis 2016, date à laquelle la Tunisie a signé l'accord de financement de 2.8 milliards de dollars, les réformes piétinent et la Tunisie a failli à plusieurs de ses engagements à cause de l'instabilité politique et le changement de gouvernements. L'équipe qui va se déplacer à Washington comportera outre le gouverneur de la BCT, le président du patronat Samir Majoul. Noureddine Taboubi avait déjà refusé de faire partie du voyage, avançant que la centrale syndicale ne négocie pas avec les bailleurs de fonds, dans une tentative de ne pas cautionner les politiques gouvernementales. Dernier élément, c'est l'échec de la visite d'Ali Kooli au Qatar à qui on doit payer un crédit de 250 millions de dollars à la fin de ce mois. Certaines sources affirment que le ministre des finances a demandé le rééchelonnement de cette tranche et que nos amis Qataris lui ont refusé cette demande. D'autres affirment que la mission du ministre était de rassurer les Qataris sur le paiement de leur crédit et de demander des financements sous forme d'investissements. Dans les deux cas le résultat est le même on doit payer et rien en retour.
S'engager sur les réformes : 3 réformes essentielles sont à mener par la Tunisie afin de se conformer aux exigences du FMI et des principaux bailleurs de fonds : réformer le système de subvention, réduire la masse salariale et restructurer les entreprises publiques déficitaires. L'équipe gouvernementale est en train de préparer une lettre d'engagements qui tournent autour de la réforme de l'administration fiscale, de l'amélioration du climat des affaires, la réforme de l'administration et la caisse de compensation.
Sur le plan des discussions externes, Mechichi a multiplié les rencontres avec les ambassadeurs. Il a rencontré l'ambassadeur des Etats Unis afin de demander le soutien de son pays auprès des bailleurs de fonds et d'apporter les garanties nécessaires. Se suivent ensuite des rencontres avec le représentant de l'Union Européenne en Tunisie, et les ambassadeurs des pays du G7 En Tunisie. Le discours était toujours le même : nous avons besoin de votre soutien. Sur ce dossier la présidence de la République qui a un rôle important à jouer, n'a pas bougé et c'est le silence radio sur ce dossier. Il y a comme une envie de faire échouer les négociations.
Des scénarios en vue : L'équipe gouvernementale partira à Washington avec des points positifs et d'autres négatifs. La mission ne sera pas du tout facile. Plusieurs scénarios sont en vue : * Réussir à convaincre les responsables des bailleurs de fonds et surtout le FMI, mais ce sera moyennant des garanties sérieuses et avec un plan détaillé et encore plus de concessions sur le sujet des réformes. La note du FMI publiée le mois dernier sur la Tunisie représente une bonne feuille de route à adopter. * Ne pas réussir cette mission ce qui signifie que la Tunisie sera obligée de revoir son budget 2021. On sera obligé entre autres de reporter les augmentations salariales prévue cette année et ainsi fâcher le partenaire UGTT, et contribuer à la détérioration du pouvoir d'achat des tunisiens et les risques d'implosion sociale qui peuvent suivre. Décaler certains investissements publics ce qui aura un impact important sur la relance économique, puisqu'actuellement c'est l'Etat qui est le premier investisseur. Réduire les dépenses de fonctionnement et faire des coupes budgétaires importantes, ce qui impactera le bon fonctionnement de l'administration. * Le troisième scénario et qui est le pire, c'est demander au FMI un rééchelonnement de la dette. C'est le scénario catastrophe, mais devient de plus en plus possible. Les portes de sorties sont très limitées pour notre pays. Le Liban l'a fait il y a une année et il a payé le prix. L'équipe gouvernementale ira-t-elle jusqu'à demander cette faveur au risque de ternir l'image de la Tunisie sur les marchés internationaux ? Le FMI acceptera-t-il une telle demande si elle a été présentée et sous quelles conditions ? C'est donc un voyage à haut risque auquel s'apprête à participer la Tunisie. L'avenir du gouvernement Mechichi, et de la Tunisie entière, réside peut-être entre les mains d'un chef de service au FMI. On est arrivé à ce stade malheureusement. S.R