La poetesse Tunisienne Amina Arfaoui vient de remporter le premier prix du concours "Sur les traces de Léopold Sédar Senghor". Le premier prix de la sixième édition de ce concours international de la poésie a été décerné à Rome dans la section "Environnement et migrations" à l'auteure et poétesse Tunisienne pour son poème "Cruelle Méditerranée" qu'elle dédie, selon son expression, aux Boat-People du XXIème siècle. Ce poème émouvant et souvent poignant, particulièrement riche en métaphores, a pour thème la tragédie vécue quotidiennement depuis des années par les " …migrants d'Afrique et d'Orient " pour aller en Occident, en passant par Lesbos et Lampedusa, " Eblouissants/ Et irrésistibles/ Miroirs aux alouettes ". En décrivant les personnes et leur histoire à travers leurs noms, le nom de leurs pays, leurs messages, en évoquant des objets " Identifiés et non identifiés ", la faune marine, les oiseaux migrateurs, et en apostrophant la Méditerranée, Amina Arfaoui dépeint la cruelle réalité concernant la migration clandestine dans cette mer, devenue un véritable cimetière pour des milliers de jeunes désespérés, victimes de leur " …quête d'une vie meilleure en Occident", affrontant la mort pour fuir leur pays et réaliser leurs rêves, et dont des centaines continuent à affluer actuellement vers les îles et les villes côtières tunisiennes ( comme récemment à Zarzis) dans le même but. Le poème de Amina Arfaoui qui lui a valu ce premier prix de poésie: CRUELLE MEDITERRANEE Poème dédié aux Boat-People du XXIème siècle Maintes belles îles Disséminées dans la Méditerranée Comme des perles éparpillées d'un collier Attirent des migrants D'Afrique et d'Orient En quête d'une vie meilleure En Occident. Comme Lesbos Et Lampedusa. Lesbos et Lampedusa, Eblouissants Et irrésistibles Miroirs aux alouettes. Pour t'atteindre, Lampedusa, Pour t'atteindre, Lesbos, Il faut d'abord traverser la Méditerranée. Ô Méditerranée, Toi toute belle, Si attirante Par tes couleurs Chatoyantes, Tantôt d'un noir azuré, Tantôt d'un bleu moiré. Méditerranée Aux ondulations fascinantes Et impressionnantes, Méditerranée Tentatrice, Tu attires, Tu appelles Les migrants venus De pays lointains À venir vers toi Pour gagner ces îles, Pour gagner Lesbos, Pour gagner Lampedusa. Parfois, Près de Lesbos, Près de Lampedusa, De tes ondes Enflées par la houle Et grosses d'eux, On voit sortir Lentement, D'abord des têtes, Puis, Dégoulinants d'eau, Des corps d'hommes, De femmes, D'enfants, Habillés Qui de vestes, Qui de manteaux, Qui de robes, Qui de lambeaux. Ils mettent pied à terre, Hébétés, Jamais en dansant, Jamais en chantant, Rarement en riant, Souvent en pleurant Et en sanglotant Ou en remerciant Dieu, Pieusement. Mais souvent, Ô méchante Méditerranée, Tu les attires Pour ensuite Les engloutir Définitivement Dans tes profondeurs. Oui, Souvent, Trop souvent, Des migrants Venus du Sud Dans l'espoir De rejoindre le Nord Périssent noyés, Ô Méditerranée, Sans que leurs corps Ne soient jamais retrouvés. Ou alors, Ô Méditerranée, Tu les rejettes en rugissant Sur les rochers Qui les déchiquettent Sans pitié. Parfois cependant Tu les déposes En douceur Dans une crique, Sur la plage. Comme Aylan hier, Basafo, Osmane et Blaise aujourd'hui, Joseph, Et Marie, Et Jemima, Et Issa, Et Rahmane, Et Moussa, Et Fatimata demain, Tu les déposes Délicatement En les entourant, Pour les accompagner dans leur dernier voyage, En guise d'objets funéraires, De pauvres choses qui leur furent précieuses : Ici, il y a une chaussure Et un semblant de gilet Avec ce qui fut un sac à dos Ou un chapeau ; À côté gît un bidon renversé Dans lequel un poulpe s'est glissé. Là, sauvée des eaux, Miraculeusement intacte, Une trousse de voyage Contenant un peigne, Un savon, du shampoing, Un rasoir de voyage, Une brosse à dents Et des médicaments. Tiens, Là-bas, il y a une poupée Aux membres arrachés, Et là, Cette main bien fermée Serre quelque chose : Est-ce un collier Ou un chapelet ? Plus haut, un livre Aux pages décolorées Par l'eau salée ; Illisible, Inutilisable, Fichu, Perdu, Comme la brève vie de ces noyés. Mais certains tatouages Sur les corps des naufragés Délivrent des messages, Parfois codés, Qu'on peut encore déchiffrer, Messages désabusés Remplis de haine ou d'amour De jeunes personnes désespérées : – I Hate Love – I Hate Life – No Future – I Hate You – Goodbye Blue Sky – I Need Love – Mandela – Mama – P L – L S – Madiba – Palmyre – FC Barcelona – Juventus – Ronaldo – Messi – Zidane – Marie – Mar e « Mare Nostrum ». Messages tatoués De ces naufragés échoués sur la plage, À qui des vagues compatissantes Viennent caresser les jambes Sous le regard curieux De dauphins solidaires, Alors que s'éloignent, Indifférents, Des paquebots géants Remplis de passagers En train de s'amuser Et de danser Aux sons des violons En écoutant des valses surannées, Le Beau Danube Bleu, Et des chansons romantiques, Strangers In The Night. Corps de migrants Réunis dans un ultime tableau Composé par les eaux : Une nature morte Entourée d'écume, Avec aussi, délicatement posés Sur le sable doré, Des étoiles de mer, Des coquillages, Des varechs, Un cadavre de mouette, Une grosse méduse bleue, Un gris-gris, Et, entremêlés Dans un immense filet Où se débat encore Une tortue épuisée, Divers déchets et saletés : Bouteilles toxiques, Petits et grands sachets en plastique Dans lesquels s'affairent des crabes, Des insectes bizarres bourdonnant Autour d'une masse méconnaissable, Et d'autres choses non identifiables. Pour que les noyés De la Méditerranée Ne soient jamais oubliés, Il faudrait qu'il y ait un jour Un musée à eux dédié Pour y exposer Ces différents objets Identifiés et non identifiés. Naufragés Aux yeux délavés, Aux yeux grands ouverts Sur des cieux Orageux ou lumineux, Cieux Où passent, Venus, comme eux, D'Afrique ou d'Orient, Du Tchad, Du Congo, Du Nigéria, De Côte d'Ivoire, Du Soudan, De Somalie, de Tanzanie, De Tunisie, de Libye, D'Irak Et de Syrie, En formations bien ordonnées Et bien disciplinés, Des flamants roses, Des oies cendrées Et autres oiseaux migrateurs Qui se dirigent en caquetant En un ballet bruyant Vers le Nord, Vers des lieux plus hospitaliers, Vers ces lieux tant rêvés Que les naufragés, eux, Ne verront jamais. Naufragés En attente D'une main compatissante Qui vienne leur fermer les yeux Et aille les enterrer, À Zarzis ou ailleurs, Dans le cimetière des noyés, Pour qu'ils puissent reposer En paix pour l'éternité. Mais d'autres migrants Perdus en pleine mer, Entassés dans des frêles nacelles Ballotées par les vagues, Espèrent encore désespérément Voir poindre à l'horizon Le pavillon fraternel de l'Aquarius Ou celui d'autres organisations solidaires Qui mettront fin à leur calvaire, Miraculeusement. Et ces rescapés chanceux Echapperont, eux, à ta cruauté, Ô Méditerranée !
Les débuts d'écriture d'Amina Arfaoui datent de 1987, année où a été publiée chez Hatier la nouvelle " Le phonographe ", qui a été traduite en anglais dans l'anthologie " WomenWritingAfrica " (New York, 2009) ; débuts tardifs car elle devait se consacrer à sa carrière universitaire, qu'elle a terminée en tant que professeur de l'Enseignement Supérieur. Elle a publié en 2015 sous son nom de plume Naima Amine un recueil de nouvelles intitulé " La Planète Bleue " (Tunis) et en 2016 un roman " Ma jeunesse a vécu " (Tunis). En 2019, elle a publié un essai sur la Tunisie intitulé " La transition démocratique en Tunisie du 14 janvier 2011 à juillet 2018 " (Tunis). Le concours "Sur les traces de Léopold Sédar Senghor" est né d'une idée du poète Cheikh Tidiane Gaye. L'objectif est de valoriser la figure du grand Léopold Sédar Senghor afin de valoriser ses écrits, de faire connaître son parcours littéraire et philosophique.