Fondé sur un rapport de domination et d'intimidation, le harcèlement sexuel et moral est une double peine pour les victimes. En plus de la violence qu'elles subissent au moment des faits, s'ajoute celle qui découle de la volonté de porter plainte et d'obtenir réparation du préjudice subi…Ou, tout simplement, obtenir que justice soit faite. Il est encore plus difficile lorsque l'on est jeune, vulnérable et influençable, abusé par une personne dont le statut et l'ascendance sont censés protéger et non abuser. Dhekra Yahyaoui, 20 ans, est une lycéenne de la ville de Ksour au Kef. Elle porte plainte contre le directeur de son lycée pour harcèlement et violence. Une plainte qui a été classée pour absence de preuves contre l'accusé, l'élève n'avait pas les moyens de se payer les services d'un avocat pour la représenter. Dhekra Yahyaoui a été, par la suite, traduite devant le conseil de discipline et accusée par son directeur d'insultes. On décide de l'expulser de son lycée, à quelques jours de son examen de baccalauréat, et on recommande la peine maximale à son encontre. Une expulsion définitive de tous les lycées de la République. Dans sa grande clémence, le ministère de l'Education lui permettra tout de même de passer son concours national en tant que « candidate indépendante ». Elle échappera à la colère de son présumé-bourreau.
Sans se substituer à la justice, difficile de savoir ce qui s'est réellement passé, mais le principe de la présomption d'innocence et du soutien à la victime restent de mise. Au lieu de cela, la nouvelle provoque un flot de critiques et d'insultes…contre la jeune fille. Comme il est de coutume sur les réseaux, la déferlante de haine bat son plein et les violences faites aux femmes se font de plus en plus insistantes. A tel point que la radio Mosaïque décide de modérer les réactions sous un article en décidant que « tout commentaire insultant ou mettant en doute la version de la victime sera effacé et verra son auteur banni de la page ». Une action inédite qui montre l'ampleur du lynchage réservé à ceux qui osent dénoncer les violences qu'ils subissent. Il n'est doublement pas facile de dénoncer son bourreau lorsque l'on est victime de violences. Lynchée sur la place publique, la jeune fille a été décrédibilisée, raillée et accusée de calomnie. Il n'est déjà pas aisé d'avoir le courage de dénoncer son directeur lorsqu'on n'a que 20 ans, comment survivre aux représailles qui suivent cette dénonciation ?
Au-delà du cas de Dhekra, la dénonciation des actes de violence reste un véritable parcours du combattant. S'il existe, dans les faits, des lois pour les protéger, leur application reste des plus compliquées. Les victimes de violence préfèrent souvent retirer leurs plaintes de crainte de subir les représailles qui en découlent. Dénoncer un acte d'agression sexuelle revient à placer la victime devant un tribunal populaire et à la lapider avec des questions sur sa moralité, son passé et ses intentions. De quoi faire peur à de nombreuses victimes qui préfèrent se murer dans le silence plutôt que de subir cette lourde peine.
Dans le milieu scolaire, la notion même d'agression sexuelle reste méconnue et largement ignorée. Les adultes préfèrent instaurer la honte plutôt que le principe de prudence qui vise à protéger et mettre en garde leurs enfants contre d'éventuelles agressions qu'ils pourraient subir dans un milieu censé leur être familier et sécurisant. Etre agressé par un enseignant ou un membre du personnel de son école-collège-lycée peut ne pas être clairement identifié par une jeune victime à laquelle on n'aurait pas nécessairement appris les limites que le comportement d'une personne « par définition bienveillante », devrait tenir à son égard. Ce type de harcèlement gagnerait pourtant à être connu et expliqué aux plus jeunes. Leur apprendre que leur corps leur appartient, qu'un adulte – même de confiance – n'a pas le droit de par son autorité et son statut, de porter atteinte à leur intégrité morale ou physique et qu'ils ont le droit – absolu – de dénoncer tout comportement qui pourrait leur sembler déplacé ou les mettre mal à l'aise d'une quelconque manière. Les ravages du harcèlement sexuel sur les jeunes élèves et étudiants peuvent être dévastateurs. Désintérêt des études, pertes de confiance en soi, abandon scolaire, anxiété, isolement et troubles divers. Certains sombrent même dans la dépression, les excès (drogue-alcool) ou, pire, le suicide.
Au-delà de l'intérêt à porter aux jeunes victimes, la honte qui accompagne chaque dénonciation n'est pas propre aux plus jeunes. On essaye de faire honte aux victimes d'inceste qui prennent le courage de dénoncer un parent, en les accusant de vouloir décimer une famille ; on culpabilise une épouse qui porte plainte contre un mari violent, en lui faisant miroiter l'avenir de ses enfants privés de leur père et on questionne la morale et les choix de vie des victimes de viol à qui on fait croire qu'elles l'ont bien cherché…
Face à des lois, théoriquement bien faites et pensées dans la logique de protéger les victimes, arriver à les mettre en pratique reste un chemin semé d'embûches. Et ceci a plus trait à la sensibilisation et aux mentalités qu'à l'arsenal juridique réellement existant, mais, parfois, totalement inutile…