Dans les jeux de cartes, très souvent, la chance sourit aux joueurs débutants, comme pour mieux les amadouer, leur faire prendre plaisir, faire monter l'adrénaline en eux et en faire avec le temps, des accros au jeu. Dans les jeux d'argent (poker, turf ou autres), les novices gagnent gros jusqu'à ce qu'ils croient détenir toutes les ficelles du jeu. Ils commencent alors à perdre, tout perdre, jusqu'à vendre leurs biens, détruire leurs familles et même se déposséder de leur dignité. De mémoire d'homme, on n'a jamais connu un parieur qui, au décompte final, n'a pas perdu plus qu'il n'a gagné. Ce qui lui reste comme bilan, c'est plein de souvenirs, des montées d'adrénaline ennivrantes et beaucoup de regrets. La politique, dans une certaine mesure, ne diffère guère des paris et des jeux d'argent. Bien entendu, il existe une pratique saine de la politique et des gens qui se mettent au service de leur communauté dans le respect du droit, des règles et de l'éthique. Mais souvent, plus fréquemment que l'on voudrait bien l'accepter, des figures inconnues peuvent, par un concours des circonstances, connaitre une ascension rapide, fulgurante pour occuper le paysage politique avant de connaitre, aussi rapidement, la descente aux enfers et l'oubli.
Depuis la révolution, la scène politique tunisienne est occupée presque exclusivement par de nouvelles figures et des novices de la politique. Ceci s'expliquerait selon certains par la réalité révolutionnaire qui crée son nouveau paysage avec ses nouveaux acteurs. Mais une révolution vient pour enrichir l'histoire d'une nation, non pas pour réécrire totalement son histoire et gommer tous ses acteurs, même ceux dont l'action a largement contribué à cette révolution. Surtout, une révolution vient pour corriger les erreurs et les déviations du passé, instaurer des pratiques saines dans l'espace public et veiller au respect de l'éthique politique. Parmi les rescapés de la révolution dans le paysage politique actuel, sans juger leurs actions, seules trois figures ont survécu. Il s'agit, dans le désordre, du chef des islamistes Rached Ghannouchi, du patron de la gauche Hamma Hammami et du vieux routier de la politique Ahmed Néjib Chebbi. Les autres personnalités politiques qui étaient actives avant la révolution n'avaient pas sincèrement l'envergure qu'ils veulent bien se donner aujourd'hui.
Par contre, le camp des néophytes est plein à craquer. Depuis plus de dix ans, ces derniers occupent presque exclusivement l'ensemble de la scène politique. Pour ne donner que quelques exemples, on dira que la présidente du parti destourien Abir Moussi, dont le parti caracole actuellement en tête des sondages d'opinion, était avant la révolution une simple chauffeuse de salle. Habib Jomli, le candidat surprise du parti Ennahdha à la présidence du gouvernement, a connu deux mois de gloire pour sombrer très vite après dans l'oubli. Youssef Chahed, inconnu au bataillon, qui ne doit son ascension qu'à un réseau d'alliances familiales, a fait du tort au pays durant trois ans, avant de le quitter sur la pointe des pieds. Hichem Mechichi, parachuté, inconsistant et inefficace a vite fini par être congédié. Concernant l'actuelle chef de gouvernement Nejla Bouden, je n'insulterai pas l'avenir, quoi que… Depuis quelques mois, de nouveaux arrivants en politique tentent de donner de la voix, avoir une visibilité et occuper tous les espaces. Ce sont les fans du président de la République, ceux qui ont fait sa campagne d'explication. Quelques uns parmi eux seulement sont connus. Les autres sont d'illustres inconnus qui veulent se faire une place au soleil par une apparence, un discours, et même une gestuelle inhabituels et choquants. Tout semble indiquer que ces novices de la politique ont encore beaucoup à apprendre. Leur chef, le président Kaïs Saïed, est lui aussi un novice de la politique. Mais comme tous les débutants, la chance semble lui sourire. Sur le front intérieur, il ne fait pas grand-chose mais profite du ressentiment des Tunisiens envers toute la classe politique qui a mené le pays vers la faillite durant les dix dernières années. Sur le plan international, la crise russo-ukrainienne est du pain béni pour lui. Alors que les critiques internationales commencent à devenir pressantes sur son régime, cette crise détourne l'attention des partenaires étrangers et relègue la Tunisie à des places éloignées sur l'échelle de leurs préoccupations du moment. Cette crise russo-ukrainienne vient s'ajouter à la détérioration de la situation en Libye et le retour à la case départ dans le pays voisin ce qui est fortement préoccupant sur le plan stratégique international. Ceci sans oublier l'approche de l'élection présidentielle en France, un pays qui a une influence certaine sur l'Europe ainsi que sur la politique tunisienne, ce qui accorde au président tunisien quelques mois de répit supplémentaire. N'ai-je pas dit dés le début que Kaïs Saïed a une chance de bleu ?!