Au cours de la dernière année, le rôle de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH) s'est affaibli et son bureau exécutif a cumulé les défaillances. Ce dernier avait choisi de s'aligner derrière le pouvoir en place. La participation de la LTDH, titulaire du prix Nobel de la paix, au simulacre de dialogue du président de la République, Kaïs Saïed a représenté une déception pour les militants des droits humains et les amateurs des affaires publiques et a porté atteinte à sa crédibilité. La direction de l'organisation a soutenu la mise en place du régime dictatorial mou de Kaïs Saïd. Il s'agissait d'une erreur considérée, dans le meilleur des cas, comme une insulte à l'histoire de l'organisation nationale. Après une série de tristes erreurs, un sentiment de soulagement et d'espoir a été éprouvé suite à l'ascension à la tête de la ligue d'une nouvelle direction opposée aux décisions du précédent bureau et de son soutien à Kaïs Saïed. Du sang neuf qui peut rectifier la boussole. Les travaux du huitième congrès de la LTDH se sont clôturés, le soir du dimanche 13 novembre 2022, suite à l'élection de Bassem Trifi à 108 voix comme président de la ligue. Il sera, à l'âge de 42 ans, le huitième président de la LTDH. Il s'agit d'un homme de terrain proche des quartiers populaires. Bassem Trifi a suivi ses études à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis. Il est avocat et fils de l'avocat et militant Mokhtar Trifi. Il est connu pour ses orientations de gauche et était étudiant militant. Durant les années ayant suivi la Révolution, Bassem Trifi avait choisi de se focaliser sur la question de l'impunité dans des affaires de violence policière. Il est capable de réciter la liste de tous les citoyens assassinés par les forces de l'ordre et dont les dossiers ont été enfouis. Il évoque cette question à chaque apparition médiatique et exprime son attachement à la poursuite en justice des coupables et l'accélération du processus judiciaire. Il s'agit pour lui d'une affaire personnelle et y croit fortement. Il supervise les dossiers dans lesquels la LTDH intervient dans le cadre de la documentation des agressions et des crimes et la saisie de la justice. A l'occasion des protestations et des manifestations, on peut voir Bassem Trifi hurlant muni de son téléphone et coordonnant avec les restes des membres de la LTDH en prévision de toute attaque et pour s'apprêter à défendre les manifestants. On peut le trouver dans les commissariats de police, dans les centres de détention et dans la rue, en compagnie de manifestants, puis le soir sur l'une des chaînes médiatiques. Tout au long de l'année dernière, Bassem Trifi était le "fils rebelle" de la ligue alors que Jamel Msallem et surtout Béchir Laâbidi (secrétaire général de la LTDH) étaient toujours prêts à soutenir les initiatives présidentielles et à monopoliser la prise de décision au niveau interne. Bassem Trifi n'a pas hésité à mettre en garde contre les dangers du coup d'Etat du président de la République, des atteintes aux libertés et de la hausse du nombre de cas d'agressions policières, de procès visant les opposants et de la comparution de civils devant les tribunaux militaires. Bassem Trifi avait refusé de participer au dialogue organisé par le président de la République. Néanmoins, la direction de la LTDH a ignoré les opposants au niveau interne et a choisi de se soumettre au pouvoir en place sous prétexte du "Oui, mais" ou du soutien critique au processus du 25 juillet. Un soutien honteux pour l'organisation ! La ligue a dévié de son rôle historique et était témoin de la mascarade qu'était l'élaboration de la Constitution personnelle de Kaïs Saïed. Ce soutien lui avait fourni une légitimité lui ayant permis de l'écrire de façon unilatérale. La ligue avait, même, soutenu par la suite le référendum et adopté l'écrit du président de la République comme nouvelle constitution. Alors que la direction de la ligue avait joué un rôle dans la mise en place d'un système autoritaire, Bassem Trifi est resté un homme de terrain documentant les atteintes aux droits humains de la police de Taoufik Charfeddine. Un décès suspect, des agressions, de la torture, des arrestations illégales, des kidnappings par des policiers et une violence accrue. La LTDH a choisi le silence et s'est contentée de quelques "gentils" communiqués reprochant parfois au système en place le non-respect des droits humains. Il s'agit du même système soutenu par l'ancienne direction. Jamel Msallem avait participé au simulacre du dialogue impliquant, ainsi, une organisation historique dans un crime contre l'Etat commis par un président populiste. Une grande responsabilité repose sur les épaules de Bassem Trifi et des nouveaux membres du bureau exécutif dans une atmosphère générale sombre et suffocante en raison du niveau élevé des violences et atteintes aux droits de l'Homme. La nouvelle direction doit corriger les positions de la ligue et revenir à la défense acharnée des droits de l'Homme. Peut-être que la première étape à suivre serait un boycott des prochaines élections législatives.