Au vu des origines politiques et des pratiques de la présidente du parti destourien libre, Abir Moussi, on se doutait bien que l'habit d'opposante ne lui irait pas. Mais pas au point de devenir un outil qu'utilise le pouvoir en place pour s'attaquer judiciairement à ses opposants. Le 28 décembre 2022, le président de la République, Kaïs Saïed, prononce un discours, entouré de hauts cadres sécuritaires et des généraux de l'armée, rythmé par les invectives et les menaces. Opposants, journalistes, tout y passe. Dès le début de l'année 2023, le régime de Kaïs Saïed semble avoir capté le message : le 2 janvier le militant Ayachi Hammami, avocat des juges révoqués, apprend qu'une procédure est en cours contre lui pour des propos tenus à la radio concernant les agissements de la ministre de la Justice, Leïla Jaffel. Le même jour, le militant Ahmed Nejib Chebbi, l'avocat Ridha Belhadj et les activistes Jawher Ben M'barek et Chaïma Issa apprennent qu'ils font l'objet d'une enquête judiciaire pour appartenance à un groupe dont des membres seraient en lien avec des terroristes, mise à disposition d'un local de réunion à leur disposition et collecte de dons en leur faveur sur la base de la loi antiterroriste. Auteure de la plainte : Abir Moussi. Consciemment ou inconsciemment, la présidente du PDL, dont les fanatisés vantent la finesse et l'intelligence politique, a fourni les munitions nécessaires au régime pour mettre au pas ses opposants politiques. Cela serait défendable si elle-même ne s'opposait pas au même régime. Grâce à cela, les autres fanatisés du président Kaïs Saïed et les défenseurs de son régime parcourent les plateaux pour dire que ce sont juste des opposants qui s'entredéchirent et que le chef de l'Etat n'a absolument rien à voir avec cette affaire. Ainsi, le pouvoir en place est blanchi de l'accusation de harceler judiciairement ses opposants tout en soulignant le manque de crédibilité de l'opposition et son incapacité à être une alternative viable pour les Tunisiens. Autant dire que Abir Moussi a rendu un fier service au pouvoir qui n'a plus, ensuite, qu'à accélérer les procédures pour entamer les poursuites judiciaires. Que Abir Moussi ait un problème fondamental avec l'existence même d'un parti comme Ennahdha n'est pas étonnant sachant que c'est son fonds de commerce politique depuis des années, mais de là à s'en prendre à des personnalités comme celles citées dans la plainte et offrir ainsi un tel cadeau au pouvoir semble incompréhensible. En plus, elle place Ahmed Nejib Chebbi et ses acolytes dans une position qu'ils connaissent sur le bout des doigts. Abir Moussi n'a pas fait que rendre service au pouvoir en place, mais également à Ahmed Nejib Chebbi et les autres accusés qui démontrent par les faits qu'ils sont la cible de tous les rétrogrades. En vieux briscard de la politique, Ahmed Nejib Chebbi a d'ores-et-déjà annoncé qu'il ne se plierait à aucune convocation et que s'il était arrêté, se murerait dans le silence. Si cela arrive, il prendra incontestablement la tête de la lutte contre le pouvoir de Kaïs Saïed et sera sans doute un prisonnier politique de renom. La plainte de Abir Moussi, instrumentalisée par le pouvoir, servira également de tremplin pour un Front de salut en perte de vitesse car ses membres auront en mains la preuve irréfutable des pratiques du régime et de la complicité, même passive, de la patronne du PDL. Politiquement, le Front de salut renforcera son positionnement de premier collectif ayant qualifié le 25-Juillet de putsch et son statut de lanceur précoce d'alerte contre les dérives du pouvoir. Il est vrai que Ahmed Nejib Chebbi a fait des choix politiques hasardeux et conclu des alliances discutables, mais personne ne peut remettre en doute son passif de défenseur acharné des droits de l'Homme et des libertés depuis plusieurs décennies. Il aura été l'opposant de tous les régimes despotiques ou en passe de l'être. Le trainer devant les tribunaux pour une accusation aussi farfelue est en fait une victoire pour lui. Toutefois, les nostalgiques des régimes despotiques d'un côté, ainsi que les nouveaux embrigadés du régime actuel et du président Kaïs Saïed, sont incapables de saisir cette subtilité. La tactique de Abir Moussi qui consiste à faire feu de tout bois et de s'attaquer à tout le monde n'est, en définitive, pas très différente de la politique employée par Kaïs Saïed. Notons, d'ailleurs, que ce dernier ne s'est jamais adressé à Abir Moussi ni au PDL malgré ses fréquentes envolées lyriques et malgré le fait qu'il se soit attaqué, explicitement ou implicitement, à l'ensemble de ses opposants. Abir Moussi est l'héritière d'un projet politique tout aussi désuet et tout aussi despotique que celui de Kaïs Saïed. La principale différence est que le régime souhaité par Abir Moussi et auquel elle avait appartenu, corps et âme, avait dans son escarcelle des réalisations importantes au niveau économique et social. Abir Moussi ne parle avec personne, ne coordonne avec aucune formation politique, se mure dans sa vérité, ne se remet jamais en question et ne recule pas d'un iota même si ça ne marche pas. Toutes les caractéristiques du président Kaïs Saïed dans sa gestion des affaires du pays particulièrement depuis son coup de force du 25-Juillet. Les fans de Abir Moussi auront beau se déchainer pour justifier tous les actes de leur présidente, la réalité est que la démarche de cette dernière a été instrumentalisée. Il arrive parfois qu'un politicien se trompe, tout l'art réside dans le fait de l'admettre.