Hanine Bouguerra, boulangère, propriétaire d'une boulangerie moderne, n'ayant pas droit à la farine compensée, a publié une vidéo adressée au président de la République où elle exprime son ras-le-bol et dénonce plusieurs contrevérités circulant à propos des boulangeries modernes. Bien que consciente qu'elle risque des peines de prison conséquentes, à cause du décret 54, elle n'a pas hésité à s'exprimer pour accuser le chef de l'Etat et la ministre du Commerce d'être responsables de la pénurie actuelle du pain et de la faillite de 2.000 boulangeries et du chômage de 18.000 employés. Elle est même jusqu'à accuser le chef de l'Etat d'appauvrir les Tunisiens de les diviser.
« Je voulais parler de l'injustice qui a touché les propriétaires des boulangeries modernes », a-t-elle précisé en soulignant « qu'ils ont été visés par un discours haineux, incitatif et qui monte les Tunisiens les uns contre les autres », ce qui représente un « grave précédent ».
En réponse aux interrogations de ses clients sur les raisons de la fermeture de son établissement, Mme Bouguerra a affirmé que « cette fermeture est une réponse à la décision du chef de l'Etat d'affamer et condamner à mort 2.000 familles de propriétaires de boulangeries modernes, et leurs 18.000 employés à cause d'une mauvaise compréhension de la situation, et de fausses informations ou à cause de n'avoir écouté qu'une partie et pas l'autre ». Hanine Bouguerra a demandé au chef de l'Etat s'il était au courant que sa ministre du Commerce s'est récemment réunie avec le groupement des boulangeries modernes relevant de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) pour leur demander une nouvelle hausse des prix de la tonne de farine à 1.300 dinars la tonne contre 665 dinars la tonne actuellement, et d'augmenter en parallèle le prix de pains confectionnés par leurs soins. Et de marteler : « Existe-il encore des riches en Tunisie ? Il en demeure quelques uns que vous connaissez et qui sont proches du pouvoir. Nous ne sommes pas des riches ! Nous sommes des diplômés du supérieur qui étaient au chômage, qui ont cru à leur droit dans ce pays, qui n'ont pas demandé à l'Etat de leur trouver du travail, qui ont cru en eux, en leurs compétences et en leurs moyens, et se ont créé de l'emploi à eux et à d'autres personnes ».
La boulangère a assuré au président Saïed : « Vos chiffes sont erronées, nous ne sommes pas 1.450 boulangeries modernes mais nous sommes 2.000 boulangeries, qui ont des patentes, qui sont contrôlées par les autorités et qui doivent respecter un cahier des charges particulier. Des structures qui payent impôts (déclarations mensuelles) et CNSS ». Et de détailler certaines charges : 1.400 dinars de CNSS, 1.400 dinars pour la Sonede, 3.093 dinars pour la Steg, etc., en spécifiant que les boulangeries disposent des factures et que tout est sur système
Hanine Bouguerra s'est interrogé : « Vous savez que le problème vient des boulangeries classées, qui proviennent des services de l'Etat, qui n'ont pas versé la compensation. Lorsque vous avez appelé à la fermeture des boulangeries modernes, avez-vous pensé à leur devenir ? Avez-vous pensé si une prison qui peut contenir 18.000 personnes ? Avez-vous pensé aux familles qui vont être affamées ou n'êtes-vous pas leur Président ? (…) Est-ce comme ça que les choses doivent être gérées ? Avez-vous été élu pour affamer le peuple tunisien ? Avez-vous été élu pour appauvrir le peuple tunisien ? Avez-vous êtes élu pour différencier entre les pauvres et les riches ? Vous nous avez poussés à haïr notre pays et à croire que nous n'y avons pas de place ! Vous nous avez poussés à vivre dans l'injustice, dans un pays que nous ne ne connaissons pas et qui ne nous connait pas ! Nous n'aimons plus la Tunisie, vous nous avez poussés à la haïr car des personnes viennent vous parler de leurs visions complotistes et vous commettez des injustices ! ». La boulangère a ainsi expliqué qu'avant, les boulangeries modernes achetaient la tonne de farine au prix de 520 dinars et elles vendaient la baguette à 0,2 dinar. Après que l'Etat ait augmenté le prix à 665 dinars de la tonne, elles ont a été obligées, en coordination avec les autorités et en respect du cahier des charges, de porter le prix de la baguette à 0,25 didinar « Ce que vous appelez "pain brioche" est instauré par le cahier des charge, la baguette ne doit pas dépasser les quarante centimètres et ne doit pas peser plus de 180 grammes. Et de spécifier que toute infraction est sanctionnée par 5.000 dinars d'amende », a-t-elle spécifié. Hanine Bouguerra a aussi souligné que l'Etat donne gratuitement la farine aux boulangeries classées en plus d'une compensation monétaire de 20 dinars par tonne pour les boulangeries classées A et 14 dinars par tonne pour boulangeries classées C. En contrepartie, les boulangeries modernes achètent la farine à 665 dinars la tonne et bien sûr ne reçoivent aucune compensation de la part de l'Etat « Vous n'êtes pas étonné qu'un pain de tabouna est vendu à un dinar mais vous trouver exagéré qu'on vende le pain à 0,25 dinar ? Grâce à l'argent des boulangeries modernes, vous payez la compensation aux boulangeries classées ! », a-t-elle déclaré. Et d'ajouter : « Avant, lorsque la farine était disponible à volonté, le pain était disponible. Actuellement, avec le plafond de sept tonnes, cela ne suffit qu'une semaine ou dix jours ».
La boulangère a aussi tenu à préciser : « J'emploie une trentaine de personnes et j'ai plus de 500.000 dinars de dettes envers les sociétes de leasing. Je n'ai pas demandé à l'Etat de me financer : j'ai signé avec mon frère des chèques de garantie et je risque la prison ». Le pire, selon elle : « C'est le ministère du Commerce qui affirme avoir arrêté la distribution de farine, à cause de notre arrêt d'activité : la ministre s'est vengée d'eux car ils ont appliqué la décision du chef de l'Etat ! ». Et de marteler : « Le défaut ne vient pas de nous, mais du système de compensation ! Le défaut vient des personnes qui ont décidé de subventionner des personnes au dépend d'autres ! Nous sommes des diplômés du supérieur, nous n'avons demandé ni emploi ni subventions, nous ne faisons que travailler. Nous n'avons pas de repos hebdomadaire, et nous ne fermons pas à dix heures du matin, nous travaillons du matin au soir. Nous n'avons pas le droit d'être malades et personnellement j'ai dû travailler le jour où mon père est décédé ! Au lieu d'admettre qu'il y a un problème dans les voies de distribution et dans le système de compensation, vous parlez de riches et de pauvres, pour nous diviser et nous affamer ! Je suis prête à aller en prison en défendant mes droits ! Nous n'allons pas quitter la Tunisie ! Nous aimons la Tunisie, et nous allons y rester ! Nous allons contester votre décision injuste ! »
Mme Bouguerra s'est interrogée de savoir si la crise s'est solutionnée avec la fermeture des « boulangeries de riches ». Et de souligner que les files d'attente se poursuivent et que les gens ne vont plus travailler pour pouvoir acheter un pain. « Préparez-nous une prison qui peut contenir 18.000 détenus, ou un charnier ou alors jetez-nous à la mer ! », a-t-elle conclu son témoignage.