Un an nous sépare normalement de l'élection présidentielle. Normalement aussi, cette élection devrait se dérouler dans les délais, sauf graves imprévus que seul Kaïs Saïed est en mesure de déterminer, comme il l'avait fait avec l'article 80 de l'ancienne constitution. Il faut rappeler que la Tunisie a toujours respecté la périodicité de l'élection présidentielle excepté la parenthèse de la présidence à vie du temps de Bourguiba. Seulement, le contexte historique était totalement différent et le président actuel ne pourra pas se prévaloir des mêmes atouts dont se prévalait le « Combattant suprême ». Il faut rappeler aussi, que de tout temps, l'engouement du Tunisien pour l'élection présidentielle dépasse de très loin son intérêt pour les élections législatives ou locales. Ceci est certes une tendance planétaire, mais elle trahit aussi une culture patriarcale, arabo-musulmane, qui vénère le guide, le dirigeant, le père. Il faudrait s'attendre donc lors de la prochaine élection présidentielle à un taux de participation sans aucun rapport avec les taux dérisoires et honteux de huit ou onze pour cent déclarés lors de suffrages précédents.
Toutefois, il ne suffit pas de mobiliser la population pour réussir des élections. D'autres conditions sont nécessaires, indispensables même. Les élections ne sont pas en effet qu'une simple affaire de logistique. Elles sont l'aboutissement d'un processus démocratique qui garantit la liberté, l'égalité, la diversité, la concurrence loyale, l'alternance pacifique, l'inviolabilité des urnes… Pour cela, il faudrait commencer par avoir une instance des élections véritablement intègre et compétente. Or l'Isie actuelle (instance supérieure indépendante des élections), même si nous n'avons pas les preuves pour douter de son intégrité, nous disposons de toutes les raisons de douter de sa compétence. En plus, et selon le décret concernant sa composition, l'Isie actuelle se trouve en situation irrégulière et ne devrait même pas réunir son instance dirigeante faute de quorum.
Il faudrait aussi garantir les conditions d'une concurrence et d'une compétition équitable entre les différents candidats pour réussir des élections. Que peut-on dire alors quand le pouvoir en place, dirigé par la personne unique de Kaïs Saïed, organise une telle chasse aux sorcières contre ses opposants déclarés ou potentiels ? La facilité avec laquelle des opposants sont arrêtés et incarcérés depuis six mois, le traitement que ces opposants subissent dans leurs lieux d'incarcération, qui s'apparente plus à un règlement de comptes qu'à des conditions carcérales ordinaires, la légèreté des travaux d'instruction, font penser plus à une volonté d'écarter ces opposants de la vie politique et publique que d'une réaction sérieuse face à un danger qui guette la sûreté de l'Etat. D'ailleurs, la multiplication des dossiers d'atteinte à la sureté de l'Etat banalise cet acte gravissime dans la vie d'une république. Le pouvoir actuel ne semble pas conscient de cette gravité. Il ne fait même pas l'effort d'informer les Tunisiens de la dangerosité des actes commis qui ont amené à un recours à l'accusation de complot et tentative d'atteinte à la sûreté de l'Etat.
L'autre condition pour réussir des élections, surtout une présidentielle, c'est la présence de candidats de valeur. Malheureusement, les noms des personnalités politiques qui circulent actuellement comme étant des candidats potentiels pour la prochaine élection présidentielle ne font pas rêver les Tunisiens et donnent même l'impression d'être de simples lièvres pour le candidat Kaïs Saïed.
D'abord, il y a la candidate de toujours Abir Moussi qui n'a aucune chance, non parce qu'elle est une femme - un argument sexiste qui pourrait s'appliquer à d'autres candidates - mais parce qu'elle perpétue un populisme qui a fait tellement tort au pays et qu'elle ne dit pas la vérité. Elle ment en se disant porteuse de la pensée bourguibienne alors qu'elle est simplement une militante-milicienne RCDiste qui n'a rien à voir avec le bourguibisme. Elle ment aussi en disant qu'elle dispose d'un programme alors que son seul objectif est le retour du régime de Ben Ali. Elle ment surtout quand elle parle de démocratie alors que son comportement actuel au sein même de son parti et ses agissements passés lors des réunions du barreau ne montrent aucune velléité démocratique.
Il y a aussi le mouvement Ennahdha et ses acolytes dans le front de salut. Ils n'ont aucune chance parce qu'ils ont montré qu'ils étaient incapables de gérer le pays. La présence actuelle de Kaïs Saïed à la tête de l'Etat est due en grande partie aux monstruosités commises par les islamistes et leurs alliés quand ils étaient au pouvoir.
Il y a de l'autre côté une tentative de la coalition Soumoud de trouver un candidat unique de la tendance progressiste. Mais c'est une tentative vouée à l'échec tant que les dirigeants actuels de la gauche tunisienne ne seront pas partis à la retraite nécessaire même si elle n'est pas méritée.
Il y a enfin l'initiative folklorique de Néji Jalloul qui voit dans le jeunot Nizar Châari, l'ultra-libéral qui ne s'assume pas Fadhel Abdelkéfi ou l'extravagante Olfa Hamdi, des candidats plausibles à la présidence de la République. Autant ajouter K2rhym, Safi Saiid ou encore Wadii El Jeri.