Un mandat d'amener international a été émis hier, jeudi 4 novembre, contre l'ancien président Moncef Marzouki. Il est suspecté de traîtrise et de complot contre l'Etat et ce suite à sa déclaration mardi 12 octobre à France 24 où il dit être fier d'avoir œuvré à ce que le Sommet de la Francophonie ne se déroule pas en Tunisie. Quelques jours auparavant, lors d'une manifestation à Paris, l'ancien président a invité la France à s'immiscer dans les affaires intérieures tunisiennes en soutenant l'opposition tunisienne. Les deux déclarations de Moncef Marzouki ont soulevé un véritable tollé en Tunisie. Un peu partout sur les réseaux sociaux, on le qualifiait de traître et de tous les noms d'oiseaux. Les médias n'ont pas du tout été cléments à son encontre et ont fortement critiqué ses invitations à l'ingérence étrangère et sa vilaine entreprise de saboter le Sommet de la francophonie. Les attaques ont tellement été virulentes que Moncef Marzouki a dû fermer les commentaires sur sa page Facebook et renier ses propres propos. Il a ainsi multiplié les démentis sur sa propre page sur les réseaux sociaux et sur Al Jazeera, profitant du fait que l'animateur de la chaîne qatarie ne maitrise pas la langue française et ne cherche pas spécialement à le démentir en direct. Cette lâcheté de ne pas assumer ses traîtres déclarations n'a fait que multiplier les moqueries en Tunisie. Business News a bien évoqué ce buzz avec un article titré Moncef Marzouki, Pinocchio de la République. Avec ce lynchage médiatique et sur les réseaux sociaux, l'histoire aurait pu s'arrêter là. Sauf que voilà, le président de la République Kaïs Saïed entend, lui aussi, participer au lynchage et punir son insolent prédécesseur. Il décide ainsi, le 14 octobre, de le priver de son passeport diplomatique. Le 27 octobre, le ministère public annonce des poursuites judiciaires en bonne et due forme contre l'ancien président. Une plainte qui s'ajoute à celle déposée le 14 octobre par un groupe d'avocats. Ces recours ont abouti à ce mandat d'amener international émis hier.
Moncef Marzouki mérite-t-il toute cette considération et la mobilisation de la machine judiciaire, déjà débordée par des sujets mille fois plus importants ? Alors qu'il était traité de traître et de menteur, il y a quelques jours à peine, Moncef Marzouki s'est transformé, depuis hier, en victime. L'ancien ministre Noomane Fehri a déclaré : « Je ne suis pas d'accord avec Moncef Marzouki, je ne l'ai jamais été. Mais le mandat d'arrêt international à son encontre, est un tournant extrêmement dangereux pour la Tunisie ! C'est, en plus une décision très stupide ». Le chef d'Attayar Ghazi Chaouachi estime que « le mandat d'amener émis pour avoir donné une opinion est un nouveau trou qui mène vers un tunnel bouché ». Un jeu de mots pour rappeler la dernière sortie présidentielle à propos du trou découvert à la Marsa et qu'il a présenté comme étant un tunnel menant vers la résidence de France dans l'objectif de commettre un acte criminel. Le militant et ancien ministre Ahmed Néjib Chebbi s'est adressé pour sa part au juge d'instruction pour lui dire que ce mandat d'amener est une « honte pour le peuple et pour l'Etat. On ne peut pas émettre un mandat d'amener international contre un citoyen pour un délit d'opinion. Que dire alors si ce citoyen est un ancien président de la République et un de ses symboles qui a veillé à sa sûreté et l'a représentée dans les instances internationales. On sait, et le monde sait, que le mandat que vous avez émis est une exécution de l'ordre du président de la République émis lors d'un conseil ministériel qui a qualifié les propos de Marzouki de haute trahison. Ce qu'a dit Moncef Marzouki est une opinion avec laquelle on peut être ou ne pas être d'accord. Dans le monde moderne, on ne juge pas les gens pour leurs opinions et leurs positions politiques. Le mandat que vous avez émis n'aura aucun impact à part salir l'image de la justice tunisienne et atteindre sa crédibilité. La justice française a refusé, à deux reprises, d'extrader les ressortissants tunisiens Tahar Materi et Belhassen Trabelsi. La justice grecque a refusé d'extrader Slim Riahi considérant que les conditions d'une justice équitable ne sont pas réunies dans la magistrature tunisienne. Je vous demande, Monsieur le juge, de retirer ce mandat et de classer l'affaire pour préserver l'indépendance de la justice de l'ingérence du pouvoir exécutif afin de protéger les droits et les libertés des citoyens et l'image de la Tunisie à l'international ». Ce genre de propos s'est multiplié hier et on ne compte pas le nombre d'opposants farouches de l'ancien président qui lui ont manifesté leur soutien, voire leur sympathie.
Ce que dit Ahmed Néjib Chebbi, et les autres, est très vrai. Le mandat d'amener est abusif et est contraire aux procédures classiques en la matière. Comme l'a rappelé Moncef Marzouki lui-même, dans une intervention sur Al Jazeera, il fallait d'abord convoquer le prévenu une première fois, puis une deuxième fois et c'est uniquement quand ce prévenu ne se présente pas aux convocations qu'on émet un mandat d'amener. Mieux, Interpol ne relaie jamais les mandats d'amener internationaux émis dans les affaires politiques (article 3 du statut d'Interpol), les requêtes abusives ou celles ne respectant pas les droits fondamentaux. L'affaire Marzouki tombe sous le coup de tous ces critères. En clair, le mandat d'amener international émis hier contre l'ancien président n'aura aucun effet concret sur le terrain, à part ternir l'image de la Tunisie, de sa justice et de l'actuel président de la République. Paradoxalement, le premier à qui profite ce mandat, c'est Moncef Marzouki lui-même. Cela le met dans la position de victime de la politique répressive de Kaïs Saïed. Il a commencé à exploiter le cadeau dès hier en sortant « pleurnicher » sur Al Jazeera et rappeler son statut de victime de Bourguiba et de Ben Ali. Son parti Irada a émis un communiqué dénonçant Kaïs Saïed et la justice aux bottes. Or, comme le répètent à l'envi plusieurs hommes politiques qui ont vécu les périodes de Bourguiba et de Ben Ali, Moncef Marzouki n'a jamais été réellement victime de ses deux prédécesseurs. Il a milité pour la démocratie et les libertés, certes, mais d'une manière très molle. Contrairement à ce qu'il répète tout le temps, il n'a jamais été fait prisonnier sous Ben Ali, à l'exception d'une très courte garde à vue. Quand la machine répressive de Ben Ali a commencé à tourner, Moncef Marzouki a rapidement fui le pays pour s'installer en France et y rester. Là bas, et à l'exception de quelques déclarations disparates, il n'a pas vraiment brillé par son militantisme aux côtés des opposants tunisiens. Ce qui s'est passé sous Ben Ali, se répète de nouveau sous Kaïs Saïed. La machine répressive de l'actuel président a commencé à tourner, mais comme par hasard, Moncef Marzouki se trouve en France et refuse de rentrer en Tunisie. Il a bien participé, à Paris, à une ou deux manifestations et a bien donné des interviews à des médias internationaux, où il a été hostile contre le président. Sauf que voilà, il cherchait un positionnement politique pour l'après-Kaïs Saïed et ne défendait pas vraiment les libertés. Ainsi, il a brillé par un silence assourdissant quand des mandats de dépôt ont été émis contre d'anciens ministres. Il a parlé, en revanche, quand les mandats de dépôt ciblaient ses amis d'Al Karama ou le journaliste islamiste Ameur Ayed. Opportuniste depuis toujours, Moncef Marzouki fait du militantisme à la carte là où il y a ses propres intérêts. Il est bon de rappeler que durant les années 2011-2014, quand il était président de la République, il était parmi les personnes bruyantes pour participer à la chasse aux sorcières contre les figures de l'ancien régime de Ben Ali. A son époque, plusieurs hautes personnalités de l'Etat étaient emprisonnées, injustement et qui ont fini par être relâchées car la justice n'a rien trouvé contre eux. Quand un juge a émis un mandat de dépôt contre un athée, il a déclaré publiquement qu'il vaut mieux qu'il reste en prison pour sa sécurité. Idem quand on a mis en prison les militantes de Femen ou encore quand les islamistes et les salafistes proches du pouvoir de l'époque, agressaient, en toute impunité, les militants du camp laïc et anti-islamiste. Ses proches, et lui-même, n'hésitaient pas à multiplier les recours judiciaires (y compris devant les juridictions militaires) pour faire taire l'opposition. Il était parmi les critiques les plus virulents de feu Béji Caïd Essebsi qu'il qualifiait (et qu'il qualifie encore) de symbole de la corruption et de la contre-révolution. Quand la cabale était menée contre ses adversaires politiques, Moncef Marzouki brillait par son silence, voire sa complicité. Mais quand la cabale est menée contre son propre camp, Moncef Marzouki devient soudain victime. Il excelle dans ce rôle.
Jusque là, Moncef Marzouki était totalement inaudible. On ne l'évoque que pour se moquer de lui ou dénoncer ses propos. Kaïs Saïed lui offre aujourd'hui de la légitimité et apporte de l'eau à son moulin. Kaïs Saïed répète les mêmes erreurs que Zine El Abidine Ben Ali et Habib Bourguiba en donnant du crédit et de la matière à des opposants opportunistes à la sélectivité affligeante. Sans Ben Ali, Marzouki n'aurait jamais eu cette notoriété. Il l'aurait ignoré, le peuple aurait rapidement su que le « docteur » est vide et n'a rien à offrir à la Tunisie et aux Tunisiens. Totalement écarté de la scène politique depuis 2014, peinant à obtenir 100.000 voix aux dernières élections, voilà que Kaïs Saïed lui offre un cadeau en or en 2021 pour revenir sur le devant de la scène politique avec un costume de victime taillé sur mesure. Kaïs Saïed et Moncef Marzouki sont exactement de la même trempe. Avant d'être présidents, ils se présentaient comme intègres cherchant à en finir avec la corruption. Les deux se considèrent révolutionnaires prêts à en découdre avec le Système et l'establishment. Une fois à Carthage, ils font un virage de 180 degrés pour devenir répressifs incapables d'accepter la critique et l'avis contraire, notamment ceux de leurs prédécesseurs. Les deux « révolutionnaires » ont la faiblesse d'utiliser la machine judiciaire contre le camp adverse, les deux brillent par cette peur du prédécesseur et de son régime et les deux manipulent le peuple avec des propos révolutionnaires enflammés et trompeurs. Moncef Marzouki a été l'une des pires catastrophes de la Tunisie du XXIe siècle, mais elle a réussi à se débarrasser de lui. Pourvu qu'il ne revienne pas au pouvoir par cette fenêtre que lui a ouvert un Kaïs Saïed aussi dangereux et médiocre que lui.