Lors de la réunion du conseil des ministres du 25 janvier 2024, présidée par le chef du gouvernement, un projet de loi a été examiné et adopté, permettant à la Banque centrale de Tunisie d'octroyer des facilités de trésorerie à l'Etat tunisien. Cette décision marque une étape significative dans la stratégie du gouvernement tunisien, potentiellement autodestructrice pour le pays. En abolissant la loi organique n° 2016-35 du 25 avril 2016, qui garantissait l'indépendance de la BCT et interdisait le financement direct de l'Etat par la Banque centrale, la Tunisie s'expose à un risque d'hyperinflation, rappelant le scénario catastrophique vécu par le Zimbabwe au début des années 2000, où l'émission excessive de monnaie a entraîné une dévaluation monétaire dramatique. Cette manœuvre risquée pourrait entraîner une augmentation incontrôlable de la masse monétaire sans correspondance avec la croissance de la production économique, menaçant ainsi la stabilité financière de la Tunisie. Face à ces développements, la population tunisienne, partagée entre résignation et réprobation, pourrait se retrouver à payer le prix fort de cette indifférence politique et économique, mettant en lumière les conséquences potentiellement désastreuses d'une gouvernance isolée des réalités économiques mondiales.
Selon les données préliminaires relatives à l'exécution du budget de l'Etat jusqu'à la fin novembre 2023, les fonds levés par emprunts, tant sur le marché intérieur qu'international, ont totalisé 14.812 millions de dinars. Ce montant représente 67,5% des prévisions inscrites dans la loi de finances rectificative pour l'année 2023, fixées à 21.932 millions de dinars. Pour réaliser l'intégralité de son programme de dépenses pour 2023, l'Etat doit trouver 7.121 millions de dinars supplémentaires. L'expert financier Ezzeddine Saidane a détaillé dans un post Facebook du vendredi 2 février 2024 que « sept milliards de dinars seraient émis en une seule tranche sur dix ans, avec un différé de paiement de trois ans et sans intérêts, s'ajoutant aux quinze milliards de dinars déjà générés par la planche à billets (8,8 milliards via l'open market, 2,8 milliards de prêt direct en 2020 et 3,4 milliards par d'autres formes de création monétaire), portant le total à 22 milliards de dinars issus de la planche à billets ». L'usage excessif de la planche à billets, sans une augmentation correspondante de la production de biens et services, conduit à un déséquilibre entre la demande et l'offre, provoquant une inflation. Cette situation déclenche une spirale inflationniste, où l'augmentation des coûts de la vie pousse les salariés à demander des hausses de salaires, forçant les entreprises à augmenter leurs prix, ce qui diminue le pouvoir d'achat et peut miner la confiance dans la monnaie nationale. En conséquence, les gens sont incités à dépenser rapidement ou à investir dans des actifs stables, exacerbant l'inflation. De plus, le financement de l'Etat par impression monétaire peut entraîner une dévaluation de la monnaie, rendre les importations plus coûteuses, et aggraver le déficit commercial. Une monnaie affaiblie complique la gestion de la dette extérieure et peut réduire les investissements directs étrangers, limitant les réserves en devises. Globalement, le recours à la planche à billets sans soutien de croissance économique réelle présente des risques significatifs, incluant l'inflation, la réduction des réserves en devises, et la dévaluation monétaire, soulignant la nécessité d'une gestion prudente de la politique monétaire pour éviter de compromettre la stabilité financière et économique.
Perte d'indépendance de la BCT, une victoire à la Pyrrhus ? Contrairement à certains commentaires qu'on a pu lire dans les médias visant à dédramatiser le financement du budget tunisien par la BCT, ceci crée un grave précédent qui risque de plonger la Tunisie dans une crise économique profonde, marquée par une hyperinflation et une dévaluation drastique de sa monnaie. Il est paradoxal de constater que le président Saïed ait choisi de ne pas signer le programme proposé par le FMI (et élaboré par son gouvernement), motivé par la crainte que les mesures recommandées nuisent aux franges les plus vulnérables de la société tunisienne, risquant ainsi de déclencher des mouvements sociaux. Cette décision soulève des interrogations, particulièrement lorsque l'on considère que le recours à la planche à billets, envisagé comme seule alternative restante de financement du budget de l'Etat, porte en lui des menaces similaires, voire supérieures, pour ces mêmes populations vulnérables en Tunisie. En effet, alors que le programme du FMI cherche à imposer des réformes structurelles difficiles mais potentiellement bénéfiques à long terme, l'expansion monétaire incontrôlée risque d'accélérer l'inflation dans une spirale infernale et incontrôlable, érodant davantage le pouvoir d'achat des Tunisiens et menaçant de plonger les plus démunis dans une précarité encore plus profonde.
Le paradoxe souligné précédemment justifié par une posture délibérément souverainiste, et visant à afficher une résistance face aux directives (perçues comme telles) du FMI et à l'influence occidentale, semble être la stratégie retenue par l'entourage du président Saïed pour renforcer l'image de leader indépendant aux yeux de l'électorat tunisien en prévision des prochaines élections. C'est un choix risqué qui hypothèque l'avenir des générations futures. Ces dernières se verront contraintes de supporter les conséquences d'une telle orientation économique et financière, marquée par l'irresponsabilité et les coûts potentiels d'une détérioration encore plus rapide de l'économie nationale. James Freeman Clarke, l'auteur américain, observait : « Un politicien pense à la prochaine élection. L'homme d'Etat, à la prochaine génération. » Dans ce cadre, la décision de refuser les propositions du FMI, tout en étant présentée comme un geste de souveraineté, semble davantage relever d'une stratégie électoraliste. Ce choix vise à préserver la popularité du président face à la prochaine élection présidentielle dans un contexte socio-économique alarmant, caractérisé par l'absence de « décollage économique » et une dégradation drastique du pouvoir d'achat des tunisiens.
Ainsi, dans un climat marqué par une austérité budgétaire, des pénuries et une stagnation économique, cette posture électoraliste risque de pousser l'Etat à financer de nouveau son budget via la Banque centrale de Tunisie en 2025 et au-delà, ouvrant ainsi la boîte de Pandore. C'est une trajectoire diamétralement opposée à celle prônée par un programme conjoint FMI/UE, un scenario à la grecque, pénible mais vital pour relancer l'économie lourdement pénalisée par des années de stagnation, de désinvestissement et de fuite des capitaux et des cerveaux. Alors scénario à la grecque ou à la zimbabwéenne ? *Président fondateur du Mediterranean Development Initiative (MDI)