Une proposition de loi a été soumise à l'ARP, pour contraindre des jeunes médecins spécialistes à respecter leur engagement civil en les empêchant de quitter le territoire national sans autorisation du ministre de la Santé. Très vite les journaux ont titré sur « l'interdiction de voyage » visant les médecins et le sujet a relancé le débat sur un secteur en souffrance depuis des années et qui ne récolte pour réponse que mesures populistes, violence et mépris… Avant de revenir sur la polémique lancée hier par les députés, un petit rappel du contexte s'impose. C'est d'ailleurs l'élu Nabih Thabet, qui a expliqué les circonstances dans lesquelles intervient la proposition de loi en question. Il a indiqué que plusieurs postes de médecins résidents et médecins spécialistes avaient été créés au niveau des régions en 2017, une mesure permettant à un médecin n'ayant pas réussi à suivre la spécialité dans laquelle il désirait évoluer, de le faire, mais à condition d'accepter d'exercer dans certaines régions souffrant d'un manque de médecins. Cela permettait ainsi de fournir la médecine spécialisée dans les régions intérieures, en échange de l'engagement du médecin d'y exercer pendant cinq ans. Verdict, selon Nabih Thabet, 45 médecins sur 250 qui s'étaient engagés à travailler dans les régions intérieures, ont rejoint leurs postes, « montrant ainsi que l'engagement civil n'était pas suffisant et qu'il était nécessaire de promulguer une loi stipulant l'obligation de travailler dans les régions intérieures pour les résidents ». C'est donc dans ce contexte qu'est née cette proposition de loi qui empêche les médecins concernés de quitter le territoire national sans autorisation du ministre de la Santé, et ce jusqu'à ce qu'ils finissent de remplir leurs obligations. L'esprit de cette proposition de loi étant de garantir une équité dans les soins et le droit à tous les citoyens aux services de santé.
Oui mais… et s'il n'y avait plus de médecins à placer nulle part ? Le secrétaire général du Conseil national de l'Ordre des médecins, Nizar Laâdhari, a tenté dans la foulée, d'ouvrir les yeux des responsables et des législateurs sur le danger qui guette un système voué à l'effondrement. Il a expliqué, de nouveau, que les politiques de santé adoptées conduiront inéluctablement à une catastrophe et que ce ne sont pas des mesures ou des lois restrictives qui vont résoudre le problème, ni dans les régions ni au sein des grandes villes d'ailleurs qui commencent aussi à manquer cruellement de personnel. Nizar Laâdhari a appelé à une politique réaliste affirmant que « d'ici dix ans il n'y aura plus de médecins spécialistes en Tunisie ». « Les jeunes décident à l'unanimité de partir, seuls les séniors sont en train de travailler en ce moment, en 2023, 1325 jeunes médecins sont partis et cela continue. Aujourd'hui, parler de la présence des médecins spécialistes dans les régions est difficile, il faut être réaliste », a-t-il indiqué. Le médecin a alerté sur la situation, indiquant que le nombre de départs dépasse désormais le nombre de diplômés par promotion au sein des Facultés de médecine. « Entre 800 et 900 jeunes médecins sont diplômés chaque année, près de deux promotions émigrent chaque année. Il faut absolument préserver cette richesse que nous avons, Ce qui se passe est certes légal, mais les lois sont dépassées et ne répondent pas à la réalité des choses, tout cela amène nos médecins à quitter le pays », a-t-il souligné.
D'autres médecins ont aussi rebondi sur le sujet soulevé par l'ARP, déplorant une ignorance manifeste de la réalité de la situation. Ils ont appelé à ce que les médecins soient mieux traités, respectés et correctement rémunérés pour espérer les retenir et que cessent les atteintes portées à l'élite du pays dans un contexte de fuite massive des médecins. Ces mesures de la dernière chance qui se veulent restrictives sont très loin de pouvoir réaliser le moins de leurs objectifs, elles seront inutiles et ne feront que décourager davantage les jeunes médecins. Les professionnels de la santé ont d'ailleurs toujours alerté sur les conséquences de la marginalisation d'un secteur littéralement vital, rappelant que les séniors finiront par partir à la retraite sans avoir pu assurer la relève. Une réalité effrayante si on y prêtais plus d'attention. Traités de traitres et accusés de tous les maux, les jeunes médecins peinent à se faire entendre. Au fond, ils estiment que rien n'est fait pour les retenir et que leurs horizons sont plus vastes sous d'autres cieux. C'est désormais une réalité. Les séniors tentent vainement de ranimer la fibre patriotique de leurs disciples mais manquent d'arguments. Obliger un jeune médecin spécialiste à intégrer un hôpital qui manque de tout n'est clairement pas une solution. À quoi bon retenir par la force quelques matelots quand le reste de l'équipage aura quitté le navire ?