Peut-on quantifier le coût du chômage en Tunisie ? La question posée, lors des Journées de l'Entreprise 2009, organisées par l'Institut Arabe des Chefs d'Entreprises (IACE) les 11 et 12 décembre 2009, est on ne peut plus pertinente, surtout dans la conjoncture économique actuelle. Se situant le plus souvent autour de 14%, le taux de chômage demeure le point faible de la Tunisie, en particulier au sein des diplômés. Faut-il rappeler qu'il s'agit bien d'un taux tout à fait anormal malgré des taux de croissance remarquables du PIB ces dernières années. Cette arithmétique serait-t-elle une voie indispensable pour répondre, en fait, à une autre question plus brûlante : combien coûte le chômage en Tunisie et quelle a été l'évolution de son coût ? Deux chercheurs tunisiens, en l'occurrence Mahmoud Sami Nabi et Mongi Boughzala, ont essayé d'apporter un éclairage sur la question de la quantification des coûts sociaux et économiques du chômage, souvent occultée, bien qu'il s'agisse d'une problématique plus triviale et douloureuse. C'est en fonction d'une analyse pertinente de ces coûts et la mesure des désutilités causées par le chômage, que l'Etat parvient, en s'appropriant des outils nécessaires, à contourner efficacement cet enjeu en différenciant les politiques de création d'emplois suivant les catégories de chômage ciblées. Qu'est ce qu'on entend par le coût de chômage ? Les chercheurs s'accordent sur le fait que le coût financier du chômage est la partie visible et bien comptabilisée du coût total du fait qu'il inclut le manque à gagner en termes de revenu national, de recettes fiscales et de cotisations sociales à l'échelle macroéconomique) et de revenu pour le chômeur (à l'échelle microéconomique) et d'autres coûts supportés par le budget de l'Etat. Néanmoins, les coûts sociaux sont la partie immergée de l'Iceberg. Déterminé par plusieurs facteurs individuels comme l'âge, le statut matrimonial, le niveau des relations sociales, le niveau de vie de la famille, la qualification, la durée du chômage, le coût social du chômage peut prendre plusieurs aspects. Le chômage peut altérer négativement le bien-être d'un individu à travers un ensemble d'effets psychologiques (désespoir, perte de confiance en soi, perte de l'estime de soi, incertitude concernant l'avenir). Ces signes "pathologiques" sont des vecteurs exaspérants de contamination sociale qui se propage à l'entourage (famille, amis, voisins) et à l'ensemble de la société. D'ailleurs, plusieurs études montrent sans équivoque qu'il y a une forte corrélation entre le chômage et la délinquance. Une étude réalisée en France précise que l'augmentation du chômage des jeunes a causé une augmentation du nombre de cambriolages, des vols et du trafic de drogue. Par delà les effets déstabilisateurs de l'ordre social, le chômage affecte négativement le niveau général des compétences des demandeurs d'emploi et, par conséquent, leur rendement moyen, ce qui est de nature à décourager l'emploi. Pour les deux chercheurs, il s'agit d'un autre cercle vicieux chômage perte de capital humain. Mais qu'en-t-il de la situation en Tunisie ? Il est à rappeler, tout d'abord, que le taux de chômage en Tunisie demeure élevé. Les estimations de l' l'Institut National de la Statistique parlent sur 14,2% en2007. Ce taux passe à 30,7% chez les jeunes entre 15 et 24 ans. Il est encore plus élevé chez les jeunes diplômés universitaires. Pourtant, les autorités publiques n'ont pas lésiné sur les moyens et sont allées jusqu'à allouer des dépenses de l'ordre de 1,5% du PIB afin de lutter contre ce chômage. A partir de l'année prochaine, l'Etat entamera la programmation du recrutement de plus de 16 mille cadres et agents dans la fonction publique dont 70% au moins sont des diplômés de l'enseignement supérieur. Les crédits, alloués exclusivement à l'emploi, passeront de 258 millions de dinars en 2009 à 304 millions de dinars en 2010, soit une augmentation de l'ordre de 18%. Une enveloppe de 187 millions de dinars sera réservée au Fonds national de l'Emploi (FNE) sur la base de l'unification des différents mécanismes de la politique active dans le domaine de l'emploi. Cette nouvelle mesure permettra l'encadrement d'environ 123 mille jeunes et de faciliter leur insertion dans la vie professionnelle, dont 10 mille, dans le cadre du programme national de volontariat, avec le concours du tissu associatif, programme que le Chef de l'Etat avait, dans son discours du 12 novembre dernier, ordonné d'adopter en faveur des diplômés de l'enseignement supérieur. Ce programme permettra à quelque 87 mille jeunes de bénéficier de microcrédits pour le renforcement de la création de nouvelles sources de revenus. Nonobstant les efforts colossaux fournis par l'Etat à travers la mise en place d'une politique active de l'emploi, les résultats obtenus, quoique très partiels, suggèrent qu'il faut renforcer cette politique tout en augmentant son efficacité. Les deux chercheurs avancent une thèse intéressante. En effet, il sera plus judicieux de définir l'efficacité de la politique active de l'emploi par référence à une analyse coûts- bénéfices, pou gagner en clarté et en efficacité. "Pour cela, prenons le cas d'une entreprise qui envisage de réaliser un investissement générateur d'un emploi pour un jeune diplômé (à titre d'exemple) jusque là en situation de chômage. L'Etat a-t-il intérêt à accorder à cette entreprise une prime à la création de cet emploi ? ", avancent les deux chercheurs. En effet, oui. L'Etat a tout intérêt à accorder une telle prime. Un simple exercice mathématique pourrait éventuellement expliquer cette thèse. Pour éviter de supporter le coût financier de la prime, l'Etat peut la fixer à un niveau qui garantit son financement par les bénéfices du nouveau poste créé. Ces derniers sont la somme du bénéfice financier (augmentation du revenu national, augmentation des recettes fiscales) et du bénéfice non financier qui correspond à la baisse du coût social du chômage. "Si on approche l'augmentation du revenu national issu du poste créé par la productivité marginale du travail, on trouve qu'elle avoisine les 300 dinars par mois. A ce bénéfice, s'ajoute la réduction des dépenses publiques du fait de la réduction du chômage. En effet, rappelons que d'après notre étude, le coût total du chômage de notre jeune diplômé est en moyenne de l'ordre de 873 dinars par mois (coût social de 418 dinars par mois + coût financier de 454,6 dinars par mois). Ce coût peut se manifester, sous forme de problèmes de santé, de problèmes familiaux, de crimes, etc. En supposant que ce coût individuel du chômage est supporté, effectivement, par l'Etat (sous formes de dépenses liées aux services de santé, police, justice), il en découle que le poste créé génère pour l'Etat un bénéfice financier (hors recettes fiscales et cotisations sociales) de l'ordre de 1173 dinars (300 + 873) par mois. Ce petit exercice de simulation montre que l'Etat pourrait fixer le niveau de la prime annuelle à la création de l'emploi à environ 14000 dinars. Cette prime est à réviser à la baisse si on suppose que l'Etat ne supporte que partiellement le coût social du chômage. Ainsi, au seuil de 10%, la prime se situe au niveau de 4644 dinars annuellement. La part du coût social, effectivement supporté par l'Etat sous formes de dépenses liées aux services publiques (santé, police, justice, etc.), doit faire l'objet d'études approfondies", ajoute l'étude. Alors que doit-on retenir de tout cela ? Pour un coût social du chômage supporté par un jeune diplômé de l'ordre de 418 dinars par mois, les autorités publiques tunisiennes ont tout intérêt à compléter les instruments de la politique active de l'emploi en Tunisie par une prime à l'investissement générateur de l'emploi. Si Cela va du rôle et responsabilités de l'Etat de trouver les remèdes à un problème chronique, tel le cas du chômage, le secteur privé ne peut pas et ne doit pas être du reste. Les deux acteurs doivent, plus que jamais, se concerter et coordonner solidairement leurs démarches en la matière. Et c'est uniquement là que le partenariat Etat-Entreprises gagne en crédibilité, efficacité et maturité et qu'il revêt, de plus en plus, un caractère stratégique. Walid Ahmed Ferchichi