Les Bizertins se sont rendus en masse aux urnes pour accomplir leur devoir civique. Devant les bureaux de votes, on perçoit de longues files d'attentes. Pas de mixité : une file pour les hommes et l'autre pour les femmes. Les gens attendent patiemment, heureux et fiers voter, enfin, librement et de pouvoir choisir leurs représentants. L'heure d'attente varie de 10 minutes à 2 heures, selon le bureau de vote, mais ils s'accrochent : ils veulent faire entendre leurs voix. A 7h30, départ de Tunis vers Ras Jebel. L'autoroute et les routes que nous empruntons sont presque désertes à l'exception de quelques véhicules. Première escale au bureau de vote de Toubia, pas d'affluence, à 8h du matin, il est encore trop tôt peut-être ? Sur les 230 qui doivent voter, quelques uns sont venus, mais le chef du bureau indique qu'il ne peut pas nous mentionner le nombre exact de votants. On interpelle un homme, la soixantaine, qui sort du bureau. Fatigué, il nous confia juste qu'il travaille de nuit et qu'il est passé voter car, désormais, sa voix compte. On reprend la route pour s'arrêter à une école à Zouaouine. Ici la file d'attente est longue, mais pas de femmes. Quelques unes attendent à l'entrée du bureau. On nous explique qu'on donne la priorité aux femmes et qu'on ne les laisse pas attendre. Pour le second bureau, pas de file d'attente à cause du dispatching de l'IRIE de Bizerte. Ce qui a suscité le mécontentement des citoyens. Un homme souriant nous interpelle : «à 60 ans, c'est la première fois que je vote réellement». Une femme, la cinquantaine, nous fait le même constat : «que Dieu nous envoie un homme bon. Nous ferons notre devoir et nous comptons sur Dieu pour le reste», ajoute t-elle. C'est son fils qui lui a dit de venir. Pour la seconde fois on est interpellé : «on veut que la paix revienne dans le pays. On est des gens simples. On veut travailler. On veut vivre en paix. On ne cherche pas de siège !». Un constat s'impose : un seul jeune dans la file d'attente, pour les autres, la moyenne d'âge est de 50 ans. Autre constat, plusieurs hommes et femmes, âgés et ignorants, réclamaient de l'aide mais ils étaient déçus par la réponse négative des responsables de bureau qui se disaient dans l'incapacité de la leur fournir. Des murmures conseillant de voter la liste 42 nous parvenaient. On quitte le bureau de Zouaouine pour celui d'une école primaire à Aousja. Le marché hebdomadaire, d'habitue bondé, est pratiquement désert. Même constat, un bureau avec une file d'attente de 2 heures et un bureau sans file d'attente. Il en est de même pour les personnes âgées surtout ignorantes qui réclamaient une assistance mais en vain. Deux femmes voilées nous expliquent qu'à 33 et 36 ans, c'est la première fois qu'elles votent et qu'elles sont heureuses de le faire. Une autre jeune femme voilée sort du bureau de vote. Elle rejoint celles qui attendent encore : «Il faut voter pour la liste 42. Faites attention à ne pas vous tromper. Cocher à gauche !». Une vieille femme en safsari assise sur une chaise dans un coin, à ses côtés une jeune femme voilée au doigt bleu d'encre, nous interpelle : pourquoi ma fille ne peut pas entrer avec moi. Moi, je ne sais ni lire ni écrire et je veux qu'elle m'assiste !», nous supplie-t-elle. De loin, on aperçoit un groupe de 6 jeunes, la vingtaine, les cheveux en pick, formant un cercle. Pour eux, «c'est une occasion à ne pas rater», explique l'un d'eux. Ici comme à Zouaouine, les gens sont venus avant même l'ouverture des portes. A 9h15, déjà 53 personnes ont voté sur les 413 inscrits. On quitte les lieux pour Ras Jebel. Pas de longues files dans le collège, 10 minutes et c'est bon. Mais, plusieurs personnes n'ont pas trouvé leurs noms sur les registres dans les salles que l'ISIE, leurs a indiquées par SMS. D'autre,s alors qu'ils sont originaires de la ville, devront aller voter à Bizerte, 40 km plus loin. «Je vais renter chez moi sans voter !», s'exclame une femme la quarantaine, résignée, une lueur de colère dans ses yeux. « C'est du n'importe quoi !», ajoute-t-elle. Ses filles, 18 et 19 ans, sont avec elle. L'une va voter dans un autre bureau de vote, dans une autre école. La seconde, qui vient d'atteindre l'âge légal et qui veut voter, cherche encore une solution. On repart en direction de Raf-Raf. Au centre du village, on remarque d'emblée, les locaux du parti Ennahdha bien visibles. On continue notre route vers une école primaire.les mêmes difficultés enregistrées dans les autres bureaux persistent, ici, aussi. «On choisit des scientifiques, des connaisseurs en droit, des compétences capables d‘écrire la constituante. Plusieurs partis étaient à côté de la plaque, avec leurs programmes économiques et leurs fausses promesses», nous révèle un homme, la soixantaine. «On espère que les élus seront à la hauteur et qui nous décevront pas», poursuit-il. On termine notre balade à Sounine. «On va voter Ennahdha», précisent deux femmes en sefsari, la cinquantaine. Il en est de même pour des filles voilées qui attendent encore leur tour. «J'ai dit à mon fils que je voterai pour la liste qui me permet d'aller aux lieux saints. Personne n'est parti à La Mecque cette année. J'espère qu'avec eux (Ennahdha), je pourrai y aller l'année prochaine», confie une vieille femme de 70 ans en sefsari. Après vérification, on s'est aperçu que la fameuse liste 42 est celle d'Ennahdha. En demandant auprès de la population, on nous a révélé que peu de partis se sont déplacés à la région. Quelques uns se sont contentés de tracts distribués. Par contre, Ennahdha a été présente. D'ailleurs, la tête de liste pour Bizerte est originaire de Raf-Raf. Le parti a envoyé des interlocuteurs de la région pour convaincre leurs compatriotes. Il a des bureaux presque dans toutes les villes que nous avons visitées. Les aurait-il convaincus ? C'est ce que révéleront les urnes ce soir. Imen Nouira