Le nouveau pouvoir de la troïka n'a pas encore digéré la liberté de ton usée, depuis la révolution, par les médias tunisiens, publics et privés. Le cauchemar vécu par les journalistes, 23 ans durant, est encore dans les mémoires et tiennent à résister pour préserver leur indépendance et répondre aux attentes de leurs lecteurs. Le pouvoir en place a, comme tout pouvoir, besoin de ces médias pour redorer son blason et augmenter ses chances de réussir les prochaines élections. On n'en est pas encore aux menaces et aux sanctions, mais les intimidations de tous genres sont permanentes. Le bras-de-fer continue… Le hasard a voulu que le verdict du procès de la chaîne Nessma pour la diffusion du film Persépolis coïncide avec la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse. Ce procès traduit, en effet, le flou dans lequel se trouve la liberté d'expression en Tunisie. Comment le parquet a-t-il accepté une telle plainte contre la diffusion d'un film qui n'est finalement qu'une œuvre artistique ? Le procès de Nabil Karoui traduit donc l'absence de repères clairs pour la liberté d'expression dans cette Tunisie postrévolutionnaire. Le procès de Nessma n'est d'ailleurs pas le seul hic. Nasreddine Ben Saïda, le directeur du journal Ettounissia, n'a-t-il pas été arrêté illico presto pour la publication d'une photo jugée licencieuse ? Ben Saïda a écopé d'une amende pour ce délit, alors que l'agresseur de notre collègue Zied Krichen, court toujours. Cet agresseur a été pourtant reconnu et sa photo continue à faire le tour du Net. Le tort de Zyed Krichen se limite à avoir exprimé son soutien à la chaîne Nessma dans le cadre de son soutien à la liberté d'expression. Par ailleurs, on ne peut passer sous silence les tiraillements connus par l'établissement de la télévision tunisienne et, notamment, le personnel de son journal télévisé de 20 heures. Le parti majoritaire Ennahdha ne cesse de multiplier les pressions afin d'amadouer l'équipe de ce journal télévisé, pour servir ses intérêts partisans. Les dirigeants de ce parti sont allés jusqu'à proposer la privatisation de ce service public parce que l'équipe de la rédaction a maintenu sa ligne professionnelle et indépendante. Tout le monde se rappelle de ce sit-in de 50 jours de personnes qui scandaient sans cesse au micro des slogans portant atteinte aux journalistes de la télé et à leur honneur les traitant de tous les noms. Le parti Ennahdha a clairement affiché son soutien à ce sit-in et le ministère public a fait preuve de souplesse en affirmant que ce rassemblement ne nuit pas à la liberté du travail. Il a fallu que des affrontements éclatent entre les sit-inneurs et les employés de la télévision pour que le gouvernement fasse un appel à la fin de ce sit-in, tout en leur donnant raison quant à leur droit de demander à changer le contenu des programmes. Ces différents incidents ont poussé toutes les instances de régulation de la presse à l'échelle arabe et internationale à crier à l'atteinte aux libertés d'expression en Tunisie. Des interrogations se sont également posées quant au retard dans l'installation d'un organe indépendant de régulation de la presse en Tunisie, tout comme celui de la justice. Le gouvernement, se disant élu et légitime, ne s'est pas intéressé comme il se doit au dossier de la presse, préférant laisser des troupes de salafistes imposer la terreur dans la rue. Et même le jour où il a décidé de tenir une rencontre pour débattre de la question, il n'est pas parvenu à rassembler tous les intervenants. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) ainsi que l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (INRIC) se sont retirées de la réunion, avec plusieurs autres personnalités indépendantes. Il est donc clair que la visibilité n'est pas claire dans le secteur des médias avec un amalgame entre les médias publics et gouvernementaux. Les gouvernants croient que leur légitimité, ‘toute relative' d'ailleurs, leur permet de domestiquer les médias. Ce qui est en contradiction avec toutes les normes de professionnalisme et d'objectivité, fondatrices de la profession médiatique. Réformer le secteur des médias, c'est entre autres ouvrir les dossiers des journalistes corrompus par l'ancien régime. Or, le gouvernement persiste dans son refus de rendre publique cette liste sous prétexte de préserver la réputation et l'honneur des familles des concernées. En même temps, son ministre chargé du dossier politique se permet d'accuser, sans aucun fondement, le rédacteur en chef du journal ‘Le Maghreb' de s'être corrompu avec la famille régnante du régime de Ben Ali et ce, sans le moindre égard pour sa famille et sa réputation. Cela confirme de manière criarde la politique de ‘deux poids / deux mesures' adoptée par le gouvernement qui veut garder sous sa coupe cette certains réseaux médiatiques, dont les services lui sont utiles, comme le prouve le retour en force de la presse de caniveaux. N'a-t-on pas attaqué Emna Menif, Jawhar Ben Mbarek, Néjiba Hamrouni et bien d'autres, d'une manière grossière rappelant les méthodes de l'ancien régime contre ses opposants. La Tunisie a certes besoin de mettre à niveau son secteur médiatique. Mais ceci devrait se passer d'une manière rationnelle, à base d'une évaluation objective de l'état des lieux, pour faire le diagnostic qu'il faut et déterminer les maux du secteur. Tout plan de redressement doit partir de cette évaluation et tracer des objectifs clairs pour un monde médiatique professionnel et objectif. Les médias tunisiens ont besoin, plus que jamais, de renforcer leurs ressources humaines et matérielles et de garantir leur indépendance du pouvoir exécutif. Mounir Ben Mahmoud