Le gouvernement fraîchement créé par Habib Essid a réussi à obtenir le vote de confiance du Parlement. Un nombre de voix record, comparé à celui réalisé par ses prédécesseurs. Si cette confiance est loin d'être une surprise, la plénière qui devait initialement décider du sort du gouvernement n'a pas manqué d'animation. Les critiques et les condamnations ont fusé contre un gouvernement qui a fini par être adopté par une majorité écrasante. Mais pourquoi donc tout ce manège ? « Voilà pourquoi je n'ai pas voté la confiance au gouvernement de Habib Essid ». C'est ce qu'ont titré des députés du parti Nidaa Tounes dans des messages publiés suite à la plénière tenue le 4 février 2015. D'abord Abderraouf El May et ensuite Khawla Ben Aïcha ont écrit, chacun, de longues tirades dans lesquelles ils ont exprimé les motivations derrière leur refus de cautionner un gouvernement qui aurait « trahi les promesses faites aux électeurs ». « Je ne peux aujourd'hui accorder ma confiance à un gouvernement qui ne répond pas aux promesses que j'ai données à mes électeurs et qui émanent du programme électoral de mon parti. Je leur ai promis que nous ne nous allierons pas avec ceux qui ont, pendant 3 ans, failli à leur mission et que Nous, Nidaa Tounes, gouvernerons avec nos alliés « naturels » : la famille démocrate progressiste », avait écrit Khawla Ben Aïcha. Même discours du côté de Abderraouf El May qui explique son refus d'accorder la confiance à l'équipe Essid par le fait que la composition du gouvernement « ne correspond pas aux promesses de la campagne électorale qu'il a tenues en personne à travers le programme de Nidaa Tounes ». Le député assure également que « la composition ne prend pas en considération le communiqué publié par le bureau exécutif du parti, notamment la nécessité de la mise en place d'un gouvernement politique et partisan et d'alliances reflétant la volonté des électeurs de Nidaa ». Après leurs deux discours enflammés, et d'apparence très remontés, les deux députés n'ont effectivement pas voté la confiance au gouvernement. Mais au lieu de voter contre, ils se sont contentés de s'abstenir. Par ailleurs, deux autres députés de Nidaa Tounes ont consacré toute une conférence de presse pour exprimer leur mécontentement et dire aux médias qu'ils n'accorderont pas leurs voix à l'équipe gouvernementale. Il s'agit de Khemaïes Ksila et de Abdelaziz Kotti. Selon eux, le parti de Nidaa Tounes n'est « pas suffisamment représenté dans le gouvernement Habib Essid pour exécuter son programme et tenir les promesses faites à ses électeurs » compte tenu, notamment, du fait que les ministères de souveraineté ne lui appartiennent pas en totalité. Les deux députés de Nidaa Tounes, s'exprimant en leurs noms, ont simplement décidé de s'abstenir et aucun d'eux n'a voté contre le gouvernement. En réalité un seul député de Nidaa Tounes a voté contre le gouvernement : il s'agit de Lazhar Akremi. Lors de la plénière, le gouvernement de Habib Essid a récolté plus des trois quarts des voix de la totalité des 217 élus de l'ARP, soit 167 voix au total. 79 députés de Nidaa Tounes, 58 d'Ennahdha, 16 de l'UPL, 7 de Afek Tounes, parti représentés, mais aussi 17 autres, de différentes listes et partis. Seulement 30 élus présents ont voté contre et 8 se sont abstenus. Si le vote est loin d'être une surprise, un tel plébiscite est tout de même étonnant compte tenu du flot de critiques exprimées par nombreux élus présents dans les débats télévisés de la plénière qui a précédé le vote. Une plénière retransmise en direct à la télévision nationale. La première équipe gouvernementale de Habib Essid n'a pas été à la hauteur. Un constat sur lequel s'accordent de nombreux observateurs. Critiquée et rejetée par nombreux partis, qui n'ont pas été nommés au sein de l'équipe, elle a rapidement été abandonnée et ce, avant même de passer devant le Parlement. Le nouveau gouvernement, annoncé lundi par Habib Essid, a eu meilleure presse. Il serait « meilleur que les formations précédentes » de l'avis de Rached Ghannouchi, leader du parti islamiste, dans une interview à l'agence Anadolu Presse. Et pour cause ! Ennahdha en fait finalement partie. Un ministère, celui de l'Emploi, pour le porte-parole d'Ennahdha, Zied Laâdhari, et trois secrétaires d'Etat pour des nahdhaouis. Un maigre butin et un « sacrifice » selon les propres mots du leader islamiste, mais un butin quand même. Ennahdha a vite fait d'accorder sa confiance au Parlement et ce, à travers 58 de ses 69 voix. Même celle de Habib Kedher, député nahdhaoui, n'a pas été en manque. Ce dernier avait pourtant déclaré, au sein de l'hémicycle, qu'il n'accordera pas sa voix au gouvernement Essid le jugeant « anticonstitutionnel ». En effet, citant l'article 89 de la Constitution, l'ancien rapporteur, a critiqué la nomination du secrétaire général du gouvernement alors que la Constitution ne prévoit que celle de ministres et de secrétaires d'Etat. Pourtant, Habib Kedher n'a pas hésité à voter pour en plénière, suivant la sacrosainte discipline partisane. Aucune voix ne s'est élevée au sein du parti islamiste contre le gouvernement. Seuls trois députés se sont abstenus : Mohamed Ben Salem, Sonia Khlifi et Amel Souid selon le détail des votes publié aujourd'hui par le site officiel de l'ARP. Lors de la plénière, les seules formations politiques ayant ouvertement affiché leur réprobation sont ceux du Front populaire, du CPR et du Courant démocratique. Des formations ouvertement opposées au projet même et à la constitution du gouvernement jugé, à l'unisson, comme étant une « alliance contre-nature entre Ennahdha et Nidaa Tounes » et constituant, ainsi, une trahison aux électeurs des deux côtés. L'opposition a clairement choisi son camp. C'est d'ailleurs ce qu'a déclaré Imed Daïmi, député du CPR, qui a affirmé que le gouvernement reste faible malgré toute la confiance qu'il pourra obtenir au Parlement. Malgré toutes leurs critiques, la majorité écrasante des députés de Nidaa et d'Ennahdha a décidé de soutenir le gouvernement. En votant pour, ou en s'abstenant de voter, aucune condamnation claire n'a été mise à exécution de la part d'élus, ayant pourtant crié leur mécontentement sur tous les toits. Ainsi, à travers cette manoeuvre, on rejoint la logique du parti mais on se réserve le luxe de s'en désengager en cas de bourde. Habile ou Timorée ? Discipline partisane ou absence du courage de sortir du troupeau, certains députés ont préféré garder une option, juste au cas où…