La tension entre la puissante centrale syndicale, UGTT et l'organisation patronale, UTICA est à son comble. Pour cause, le nouveau round des négociations sur les majorations salariales dans le secteur privé. Des négociations qui, dès le début, s'annonçaient compliquées. Un processus qui a finalement abouti à l'annonce de grèves générales régionales. Une situation qui n'augure rien de bon, au vue du climat social et des difficultés économiques que traverse le pays. Retour sur un énième bras de fer entre les travailleurs et le patronat.
Les négociations étaient-elles vouées à un blocage depuis leur lancement ? C'est ce qu'affirment plusieurs observateurs. Chacune des deux parties, syndicat et patronat, campait sur ses positions. L'UGTT en demandait beaucoup trop : une augmentation des salaires de 15%. Requête inacceptable vue la crise économique, s'indigne le patronat. L'UTICA ne proposait rien de sérieux : une hausse estimée à 17 dinars. Cela ne répond pas aux attentes des employés rétorque le syndicat.
A plusieurs reprises, la centrale syndicale organise des réunions pour discuter des différents mouvements protestataires qui pourraient avoir lieu suite à l'échec des négociations. On menace d'organiser des sit-in, des marches, des grèves sectorielles et en dernier recours d'une grève générale dans le privé. A plusieurs reprises aussi, les négociations reprennent avec l'intervention du ministère des Affaires sociales, qui tente de désamorcer la crise qui se profile. Mais les deux protagonistes tiennent bon et ne laissent rien passer.
La tension est tout de même montée d'un cran et a pris une nouvelle tournure, lors du passage sur Nessma Tv, de Wided Bouchamaoui, présidente de l'UTICA. Ses déclarations ont fort déplu aux syndicalistes, et notamment à Noureddine Tabboubi, secrétaire général adjoint de l'UGTT, qui est intervenu en direct pour clasher Mme. Bouchamaoui. Le monsieur qualifiant ses propos, de dédaigneux et de méprisants envers le syndicat et les travailleurs. Mais qu'a donc dit la patronne des patrons pour enclencher le courroux des syndicalistes ?
Interrogée par le journaliste, quant à une éventuelle grève du secteur privée, si jamais les négociations n'aboutissent pas à un accord, Wided Bouchamaoui avait fait savoir qu'elle ne craignait pas les grèves, en dépit de leurs répercussions sur la production et les intérêts des Tunisiens. « L'UTICA n'accepte pas les menaces et ne négocie pas sous la pression », a-t-elle martelé. Il n'en fallait pas moins pour susciter l'ire des syndicalistes. Immédiatement, Tabboubi annonce le boycott de la séance de négociations, sans consulter ses camarades, qui se retrouvent dans l'obligation de soutenir cette décision. En défiant ainsi l'UGTT, et en minimisant la portée de leur arme de pression, la présidente de l'UTICA a touché un point sensible et a poussé les syndicalistes à réagir avec force. Les deux camps déjà à couteaux tirés, une telle déclaration n'a fait qu'envenimer les choses et compliquer encore plus la situation.
En réponse à l'UGTT, la centrale patronale avait considéré ce grabuge comme étant une tentative de créer une vaine polémique, soulignant que sa présidente est à mille lieues du discours arrogant et dédaigneux contrairement à ce qui est véhiculé. L'organisation avait rejeté de ce fait « les crises montées de toutes pièces et la recherche de prétextes, en vue d'imposer des diktats dans le nouveau round des négociations. On affirme finalement que les tentatives d'escalade ne servent aucune partie, tenant compte de la situation du pays qui ne supporte aucun surcroît de tension.
C'était sans compter sur la détermination d'aller jusqu'au bout de l'UGTT. Jeudi 12 novembre, à l'issue de la réunion de son bureau exécutif et du groupement du secteur privé, on décide d'entamer une série de grèves générales, au niveau des régions. Des grèves qui débuteront à Sfax et qui s'étendront sur une période allant du 19 novembre au 1er décembre. L'escalade est à son comble et le syndicat ne recule plus, brandissant la grève comme moyen de faire plier le patronat.
On réitère, toutefois, le souci du syndicat de faire montre du sens de la responsabilité pour parvenir à des résultats pouvant satisfaire toutes les parties, tout en précisant que la responsabilité et le sérieux ont fait défaut à l'UTICA, lors des sessions de négociations. On martèle que la grève est un droit garanti par la Constitution et que, partant de son sens des responsabilités, l'UGTT n'y a recours qu'en cas d'échec des négociations. On insiste sur le fait que la stabilité et la paix sociale sont tributaires de la majoration des salaires.
Les deux organisations membre du Quartet, récompensées début octobre par le Prix Nobel de la Paix pour leur rôle dans la transition démocratique et pour avoir fait primer le dialogue, semblent déroger à leur image récemment acquise. Nobel de la Paix ou pas Nobel, on se mène une guerre larvée, mais également ouverte, afin de défendre au mieux les intérêts de son camp. Au cours de la cérémonie organisée au Palais de Carthage les deux lauréats, Bouchamaoui et Abassi n'ont pas manqué de s'envoyer des flèches. L'une affirmant que les demandes de l'UGTT ne cadrent aucunement avec les attentes des patrons, et l'autre faisant valoir la nécessité d'améliorer la situation des travailleurs. En attendant, en Tunisie, le taux de croissance est à son plus bas et les investisseurs rechignent à investir. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…