"Un repas pour chaque Tunisien" est cette association qui œuvre pour l'aide aux personnes démunies par la distribution de plats chauds depuis 2014, année de sa création. Durant le mois de Ramadan 2014, elle avait servi plus de 5400 menus, nombre qui a triplé pour passer à 16 200 au Ramadan 2015. Cette année l'association réitère son action caritative pour des personnes visiblement de plus en plus nombreuses. Dès le premier jour du mois saint 2016, l'association a servi plus de 360 rations alimentaires. C'est dans la zone d'El Mnihla que les familles se retrouvent pour partager ensemble un moment de convivialité autour de mets très variés dans le centre bâti par l'association à cet effet. Non loin, 11 familles vivent dans des garages ghettoïsés illuminés par les immenses réverbères qui longent le centre commercial Monoprix situé à quelques kilomètres de là. Business News a accompagné l'association dans une journée type de distribution de repas au centre d'El Mnihla. Reportage.
Il est 17h, trois hommes s'agitent en cuisine pour concocter les plats qui seront servis pour la rupture du jeûne. Ils sont cuisiniers salariés permanents de l'association depuis sa création. Les enfants qui ont terminé leurs exercices de soutien scolaire jouent au foot sur un terrain vague avec des bénévoles en attendant le dressage des tables. L'environnement est insalubre, les bidonvilles sont poussiéreux, des détritus et déchets volent au vent. Les linges des familles sont étendus sur une portion de terre en retrait et des carcasses de voiture trônent au beau milieu.
18h, l'équipe de l'Association s'est réunie dans une antichambre servant de lieu de stockage des aliments pour faire les comptes, gérer les stocks et l'approvisionnement et calculer les rations exactes pour pouvoir nourrir le plus grand nombre.
Les femmes, au loin, sont entre-elles et profitent des dernières heures avant le coucher du soleil pour finir leurs tâches ménagères. Elles se confient : « Nous vivons comme nous pouvons dans ces garages qui servent de baraques de fortune, jusqu'au moment où des habitats seront construits pour nous, nous attendons ce moment avec impatience. Le gouverneur de l'Ariana nous l'a promis. Il l'a fait pour d'autres familles avant nous. La décharge, juste derrière, nous pourrit la vie, car la poussière et le sable rouge créent des allergies dont nos enfants souffrent».
19H45, le muezzin appelle à la prière. C'est l'heure de la rupture du jeûne. 16 familles sont attablées. De jeunes couples, des veuves accompagnées de leurs enfants en majorité en bas âge, des couples de personnes âgées aussi. Les membres de l'association aidés par les bénévoles distribuent les repas bios dans des assiettes en porcelaine : salade verte de saison, chorba à la viande de veau, riz complet à l'agneau et en guise de dessert des fruits et des boissons gazeuses.
C'est l'heure de l'iftar et de la fin des privations, l'heure de la fin de l'ascèse mentale et physique aussi. Les sourires se lisent sur les visages dignes des parents silencieux et de leurs enfants beaucoup plus bavards. Une forme de plénitude et de contentement se dégage de l'assemblée, l'optimisme est là, l'espoir.
20H45 c'est la fin du repas, les enfants donnent un coup de main pour ranger les tables et les chaises, tous fiers de pouvoir mettre la main à la pâte, fiers d'être impliqués dans cette chaîne humaine. La nuit tombe les moustiques se réveillent, seul un pitbull assure la sécurité de toute la communauté mi sédentaire mi nomade.
Les 11 familles qui vivent sur ce lopin de terre se connaissent bien et se côtoient régulièrement. Au départ, la municipalité de l'Ariana comptait faire de cet espace de vie un marché mais le projet est resté lettre morte et les garages qui devaient servir de stands pour la vente de fruits et légumes ont été détournés de leur fonction initiale pour finalement servir d'habitations.
La violence et la dureté de ces conditions de vie n'ont pas encore tout à fait entamé la joie de vivre des enfants qui, malgré leur insouciance affichée, ont bien saisi la grande précarité de leur quotidien. Ils parlent des autres enfants qui habitent plus loin dans la ville dans les quartiers chics, de leurs vêtements tous neufs et de leurs jolies maisons.
Le gouvernorat de l'Ariana est en effet très vaste, il se divise en 6 municipalités que sont Ettadhamen, Kalaât el Andalous, la Soukra, El Mnihla et Raoued. Le chômage endémique, la pauvreté, l'exclusion et les discriminations sociales présents dans les quartiers pauvres d'El Mnihla côtoient l'aisance, la richesse et le confort matériel des classes supérieures résidents dans les autres quartiers beaucoup plus huppés comme les Jardins d'El Menzah par exemple.
L'association « Un repas pour tous », fondée par les cinq amis Hajer Ben Cheikh, Feriel Tellissi, Aicha Belajouza, Omar El Euch et Iyed Tej, est destinée à aider et apporter une assistance bénévole à ces personnes vulnérables, plus précisément dans le domaine alimentaire par la mise à disposition de repas gratuits tout au long de l'année. Elle œuvre également à nourrir convenablement les jeunes handicapés du centre d'insertion de la Cité Ettadhamen, en collaboration avec l'Association pour la formation et l'insertion des handicapés (AFIH). Les mères célibataires logées dans un centre à la Soukra entrent également dans le cadre des activités de l'association.
Iyed Tej, chef cuisinier au restaurant très select El Firma explique : « En 2014, lorsque nous avons débuté les activités de l'association, nous attendions avec doute la venue des familles pour rompre le jeûne avec nous, en nous disant que peut-être personne ne viendrait, mais la réalité a dépassé nos prévisions. Dès la deuxième semaine, nous avons ouvert un deuxième centre et en 2015 cinq autres centres sur le Grand Tunis et deux à Kairouan destinés à nourrir les plus démunis. Cette année, l'association sert des repas d'iftar sur trois centres dont deux où elle mène une action à l'année ».
L'altruisme a poussé les membres de l'association à prendre en charge les cours de soutien scolaire en faveur des jeunes enfants au centre d'El Mnihla. A ce sujet, Feriel Tellissi indique : « Ces cours de soutien scolaire favorisent l'émulation des jeunes enfants qui, au lieu d'être dans la rue, confrontés à la violence du quotidien, se réunissent ici avec leurs livres et leurs cahiers pour étudier et prendre le goûter ensemble. Des progrès au niveau scolaire ont d'ailleurs été observés ». Elle ajoute : « le Tunisien est digne et fier, s'il sort de chez lui durant le mois de Ramadan pour chercher à manger, c'est qu'il est vraiment en situation de précarité. C'est pour cela que nous tenons à partager le repas avec eux pour que cela soit un moment de partage dans la dignité ».
La dignité est en effet le maître-mot de l'association qui est consciente du rôle d'utilité publique qu'elle remplit. Dans le contexte de crise économique que vit le pays, l'association assure clairement les nobles missions d'un service public en permettant à des familles vivant dans des conditions précaires de se nourrir convenablement sans avoir à mendier. Pour se financer, l'association fait essentiellement appel aux dons des bienfaiteurs. Les nombreux bénévoles de l'association se déplacent régulièrement pour offrir des denrées alimentaires ou donner de l'argent qui servira à l'achat des produits alimentaires. Le gouverneur de la ville de l'Ariana, Mehdi Zaoui, a pour sa part permis à l'association de disposer de locaux pour installer la cuisine et la salle de cours de maintien scolaire pour les enfants. L'association a fait savoir qu'elle s'associe à la volonté du gouverneur de reloger les familles en question dans des habitats salubres. Sa prochaine action consistera à acheter les tenues de l'Aîd pour les enfants. Comme elle l'explique : « Notre plus grand sponsors c'est le Tunisien ».