Le long et piètre feuilleton de HabibEssid a pris fin. Enfin ! On peut souffler un ouf de soulagement, aussi provisoire soit-il ! Ce n'était pas du tout la meilleure façon de partir pour un chef de gouvernement, mais c'était son choix. Intègre, Habib Essid l'est sans aucun doute, mais sa loyauté à celui qui l'a placé là où il est, reste à prouver. Quant à son tact politique, il n'en avait aucun ! Le fait est que ni lui, ni son lobby n'ont réussi à renverser la vapeur. Trois députés seulement l'ont soutenu lors du vote de confiance, samedi dernier. Trois ! Quelle meilleure preuve faut-il pour juger de la prestation du chef du gouvernement ? Il pourra dire ce qu'il voudra de ses réalisations, aucun de ses arguments ne saurait être recevable. Un sportif ou un élève peut réaliser les meilleures performances qui soient durant les exercices, il ne sera jugé que pour sa prestation lors de la compétition ou de l'examen. Habib Essid n'a excellé ni durant les exercices, ni le jour de la compétition. Maintenant qu'il est parti, il ne sert plus à rien de l'accabler… Passons à l'étape suivante qui risque fort de ressembler comme deux gouttes d'eau à celle qui l'a précédée.
Quel que soit le nom de ce chef du gouvernement, il y a un fait indéniable, ce pays est ingouvernable avec cette constitution et l'état où il est. L'ANC a légué à la Tunisie le pire héritage qui soit avec cette constitution qui ne saurait être adaptée à un pays en pleine construction démocratique et à un peuple comme le nôtre. Nous sommes peu respectueux du travail, nous préférons le farniente. Nous refusons le respect des libertés individuelles et des différences de l'autre, tout ce qui ne nous ressemble pas est considéré comme ennemi à abattre. La propreté, on ne fait qu'en parler, mais dans les faits, la saleté de nos rues témoigne de ce que l'on est réellement. Nous sommes des champions pour réclamer à l'Etat des droits (qui n'en sont pas) et nous sommes souvent absents pour accomplir nos devoirs et respecter nos propres lois. Les problèmes de la Tunisie sont structurels et pas du tout conjoncturels et ces problèmes structurels exigent une opération chirurgicale de plusieurs années. La constitution tunisienne ressemble à un cahier des charges de la meilleure clinique de la planète, qu'on veut appliquer au dispensaire d'un village reculé qui ne compte que des infirmiers et des étudiants en médecine.
Une fois ce diagnostic établi, regardons les choses en face, quel est le profil du chef du gouvernement qu'il nous faut, ou plutôt pour être exact, qu'on peut avoir ? Si l'on est vraiment féru de démocratie et que l'on veut appliquer la constitution au pied de la lettre, comme s'en prévalent les donneurs de leçons un peu partout, il est évident que le chef du gouvernement doit être issu de Nidaa, parti vainqueur des élections. Sinon, à quoi auront servi ces élections, la campagne électorale, l'engagement réel et sincère des militants ? On ne peut décemment pas venir leur dire merci pour votre mobilisation, bravo pour votre succès, maintenant on va nommer quelqu'un de l'extérieur pour vous gouverner. Et au vu des particularités de notre constitution, on va également nommer vos adversaires politiques que vous avez combattus durant toute la campagne ! Non, ceci n'est pas possible. Si l'on veut respecter la constitution, c'est à Nidaa de désigner son chef du gouvernement, quel que soit son nom, et tout le monde doit se taire, car il s'agit là du respect basique des résultats des élections et de la constitution. L'option de désigner une personnalité compétente en dehors de Nidaa est politiquement irrecevable. Qui désigner chez Nidaa ? On exclut Hafedh Caïd Essebsi, car il est le fils du président, on exclut Youssef Chahed, car il est de la belle-famille, on exclut Néji Jelloul, car il a flirté avec les islamistes, on exclut Saïd Aïdi, car il est en bisbilles avec les islamistes et les syndicats et on exclut Khemais Jhinaoui parce qu'il a travaillé sous Ben Ali… En clair, l'option de choisir quelqu'un de Nidaa devient politiquement irrecevable, si l'on écoute les « experts » en démocratie.
Si l'on est vraiment démocrate et si l'on veut vraiment appliquer la constitution, il faudrait pourtant s'y faire et accepter l'idée que l'un de ces candidats soit locataire de la Kasbah. Si l'on se tient uniquement à leurs prestations durant leurs 18 mois d'exercice, Saïd Aïdi, Khemais Khinaoui ou Néji Jelloul ont réalisé de bons résultats au vu de la situation dans laquelle ils ont trouvé leurs départements ! Ils ont fait preuve d'une extraordinaire fermeté dans leurs positions, ont refusé de se laisser piétiner par les syndicats et leur sens du patriotisme et de loyauté ne fait pas l'ombre d'un doute. Ils ne sont pas les meilleurs ? C'est possible, mais ce sont eux qui ont gagné les élections ! Mieux encore, ils demeurent, selon les derniers sondages, les ministres les plus populaires et ils bénéficient des appuis de plusieurs lobbys, surtout ces derniers jours. Est-ce pour autant la meilleure solution dans un pays instable comme le nôtre ? CQFD. Saïd Aïdi et Néji Jelloul ont beau être efficaces, professionnels, patriotes et populaires, il n'en demeure pas moins que leurs noms suscitent bien la polémique et que plusieurs parties (et plusieurs lobbys) ne vont pas les laisser travailler comme ils le désireraient.
Pour ma part, et si je dois donner un avis là-dessus, je pense qu'au vu de l'instabilité de la situation politique actuelle, des particularités de notre peuple, à qui rien ne plait, de la situation économique morose et de la conjoncture internationale, il faudrait une nomination qui s'apparente à un électrochoc. Une nomination qui séduit et fait arrêter provisoirement les polémiques et les critiques destructrices. Il nous faudrait un chef du gouvernement séducteur qui calme la population et la rassure, pendant que le vrai gouvernement travaille derrière, d'arrache-pied, pour résoudre les problèmes structurels profonds. L'idée est de nommer une femme, issue de Nidaa naturellement, qui soit une véritable dame de fer, ayant un véritable tact politique et des connaissances managériales profondes. Qu'elle soit à la fois proche des patrons pour les convaincre d'investir et créer de l'emploi et des syndicats pour les convaincre de travailler. La Tunisienne a prouvé depuis longtemps, et notamment entre 2011 et 2014 dans sa lutte acharnée contre la stupidité et les velléités hégémoniques de la troïka, qu'elle sait gagner les rudes batailles. La Tunisienne n'est pas moins compétente qu'Angela Merkel, Theresa May ou Hillary Clinton, son seul handicap demeure en ce plafond de verre imposé par notre société machiste, conservatrice et patriarcale. L'effet d'une cheffe de gouvernement à la tête de la Tunisie, aussi bien sur la scène nationale qu'internationale, sera extraordinaire. C'est du marketing ? Mais qu'est-ce la politique si ce n'est une affaire de marketing ?
Nous avons beau décréter la parité féminine dans la loi électorale et l'égalité dans la constitution, tout cela demeure théorique. Quand il s'agit de parler de postes de premier rang, les noms féminins disparaissent comme par magie. Les lobbys leur préfèrent nettement les noms masculins. Comme si nous n'avions pas de compétences parmi la gent féminine, aussi bien dans Nidaa qu'en dehors. Des noms ? Béji Caïd Essebsi les connait toutes, il a bien travaillé avec elles durant la création de Nidaa et durant sa campagne et il sait parfaitement qu'elles ne sont pas moins compétentes que leurs « camarades » mâles… Des militantes de Nidaa comme Nedra Tlili, Zohra Driss, Sameh Damak ou Wafa Makhlouf sont meilleures que 90% des membres du gouvernement Essid. En dehors de Nidaa, les candidates ne manquent pas non plus à l'instar de Wided Bouchamaoui. On nous dit que le poste exige une mobilisation 18 heures par jour, une extraordinaire carapace et imperméabilité aux insultes et au machisme de l'opposition, qu'il faut cesser de croire que la vie est un monde de Bisounours et qu'on a déjà du mal à trouver des candidates pour le poste d'ambassadrice… Oui, mais il est temps aussi de cesser de s'inquiéter uniquement sur le « qui va garder les enfants » et de mettre un coup de pied dans la fourmilière. Aucun pays arabe n'a réussi cela et même la France n'a pas osé enlever ce plafond de verre. Juste rappel, la Tunisie a, dans ce registre, toujours devancé les pays arabes et même parfois la France.